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Voilà quinze jours , ma chère , que je vis de la vie du monde : un soir aux Italiens , l' autre au grand Opéra , de là toujours au bal . Ah ! le monde est une féerie . La musique des Italiens me ravit , et pendant que mon âme nage dans un plaisir divin , je suis lorgnée , admirée ; mais , par un seul de mes regards , je fais baisser les yeux au plus hardi jeune homme . J' ai vu là des jeunes gens charmants ; eh bien , pas un ne me plaît ; aucun ne m' a causé l' émotion que j' éprouve en entendant Garcia dans son magnifique duo avec Pellegrini dans Otello .
Mon Dieu ! combien ce Rossini doit être jaloux pour avoir si bien exprimé la jalousie ? Quel cri que : Il mio cor si divide .
Je te parle grec , tu n' as pas entendu Garcia , mais tu sais combien je suis jalouse ! Quel triste dramaturge que Shakespeare ! Othello se prend de gloire , il remporte des victoires , il commande , il parade , il se promène en laissant Desdémone dans son coin , et Desdémone , qui le voit préférant à elle les stupidités de la vie publique , ne se fâche point ? cette brebis mérite la mort .
Que celui que je daignerai aimer s' avise de faire autre chose que de m' aimer ! Moi , je suis pour les longues épreuves de l' ancienne chevalerie .
Je regarde comme très impertinent et très sot ce paltoquet de jeune seigneur qui a trouvé mauvais que sa souveraine l' envoyât chercher son gant au milieu des lions : elle lui réservait sans doute quelque belle fleur d' amour , et il l' a perdue après l' avoir méritée , l' insolent ! Mais je babille comme si je n' avais pas de grandes nouvelles à t' apprendre ! Mon père va sans doute représenter le roi notre maître à Madrid : je dis notre maître , car je ferai partie de l' ambassade .
Ma mère désire rester ici , mon père m' emmènera pour avoir une femme près de lui .
Ma chère , tu ne vois là rien que de simple , et néanmoins il y a là des choses monstrueuses : en quinze jours , j' ai découvert les secrets de la maison . Ma mère suivrait mon père à Madrid , s' il voulait prendre M .
de Canalis en qualité de secrétaire d' ambassade , mais le roi désigne les secrétaires , le duc n' ose pas contrarier le roi qui est fort absolu , ni fâcher ma mère ; et ce grand politique croit avoir tranché les difficultés en laissant ici la duchesse .
M . de Canalis , le grand poète du jour , est le jeune homme qui cultive la société de ma mère , et qui étudie sans doute avec elle la diplomatie de trois heures à cinq heures .
La diplomatie doit être une belle chose , car il est assidu comme un joueur à la Bourse .
DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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