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L' Espagne aussi m' a échappé ! Maintenant que je ne suis plus rien , je puis contempler le moi détruit , me demander pourquoi la vie y est venue et quand elle s' en ira ? pourquoi la race chevaleresque par excellence a jeté dans son dernier rejeton ses premières vertus , son amour africain , sa chaude poésie ? si la graine doit conserver sa rugueuse enveloppe sans pousser de tige , sans effeuiller ses parfums orientaux du haut d' un radieux calice ? Quel crime ai - je commis avant de naître pour n' avoir inspiré d' amour à personne ? Dès ma naissance étais - je donc un vieux débris destiné à échouer sur une grève aride ? Je retrouve en mon âme les déserts paternels , éclairés par un soleil qui les brûle sans y rien laisser croître .
Reste orgueilleux d' une race déchue , force inutile , amour perdu , vieux jeune homme , j' attendrai donc où je suis , mieux que partout ailleurs , la dernière faveur de la mort .
Hélas ! sous ce ciel brumeux , aucune étincelle ne ranimera la flamme dans toutes ces cendres .
Aussi pourrais - je dire pour dernier mot , comme Jésus - Christ : Mon Dieu , tu m' a abandonné ! Terrible parole que personne n' a osé sonder .
Juge , Fernand , combien je suis heureux de revivre en toi et en Marie ! je vous contemplerai désormais avec l' orgueil d' un créateur fier de son ouvre . Aimez - vous bien et toujours , ne me donnez pas de chagrins : un orage entre vous me ferait plus de mal qu' à vous - mêmes .
Notre mère avait pressenti que les événements serviraient un jour ses espérances . Peut - être le désir d' une mère est - il un contrat passé entre elle et Dieu .
N' était - elle pas d' ailleurs un de ces êtres mystérieux qui peuvent communiquer avec le ciel et qui en rapportent une vision de l' avenir ! Combien de fois n' ai - je pas lu dans les rides de son front qu' elle souhaitait à Fernand les honneurs et les biens de Felipe ! Je le lui disais , elle me répondait par deux larmes et me montrait les plaies d' un coeur qui nous était dû tout entier à l' un comme à l' autre , mais qu' un invincible amour donnait à toi seul .
Aussi son ombre joyeuse planera - t - elle au - dessus de vos têtes quand vous les inclinerez à l' autel .
Viendrez - vous caresser enfin votre Felipe , dona Clara ? vous le voyez : il cède à votre bien - aimé jusqu' à la jeune fille que vous poussiez à regret sur ses genoux .
Ce que je fais plaît aux femmes , aux morts , au roi , Dieu le voulait , n' y dérange donc rien , Fernand : obéis et tais - toi .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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