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Les yeux de ces bandits ont brillé d' une joie et d' un orgueil sauvages en apprenant qu' ils protégeaient contre la vendetta du roi d' Espagne le duc de Soria leur maître , un Hénarez enfin , le premier qui soit venu les visiter depuis le temps où l' île appartenait aux Maures , eux qui la veille craignaient ma justice ! Vingt - deux carabines se sont offertes à viser Ferdinand de Bourbon , ce fils d' une race encore inconnue au jour où les Abencérages arrivaient en vainqueurs aux bords de la Loire . Je croyais pouvoir vivre des revenus de ces immenses domaines , auxquels nous avons malheureusement si peu songé ; mais mon séjour m' a démontré mon erreur et la véracité des rapports de Queverdo .
Le pauvre homme avait vingt - deux vies d' homme à mon service , et pas un réale ; des savanes de vingt mille arpents , et pas une maison ; des forêts vierges , et pas un meuble . Un million de piastres et la présence du maître pendant un demi - siècle seraient nécessaires pour mettre en valeur ces terres magnifiques : j' y songerai .
Les vaincus méditent pendant leur fuite et sur eux - mêmes et sur la partie perdue .
En voyant ce beau cadavre rongé par les moines , mes yeux se sont baignés de larmes : j' y reconnaissais le triste avenir de l' Espagne . J' ai appris à Marseille la fin de Riégo . J' ai pensé douloureusement que ma vie aussi va se terminer par un martyre , mais obscur et long .
Sera - ce donc exister que de ne pouvoir ni se consacrer à un pays , ni vivre pour une femme ! Aimer , conquérir , cette double face de la même idée était la loi gravée sur nos sabres , écrite en lettres d' or aux voûtes de nos palais , incessamment redite par les jets d' eau qui montaient en gerbes dans nos bassins de marbre .
Mais cette loi fanatise inutilement mon coeur : le sabre est brisé , le palais est en cendres , la source vive est bue par des sables stériles .
Voici donc mon testament .
Don Fernand , vous allez comprendre pourquoi je bridais votre ardeur en vous ordonnant de rester fidèle au rey netto . Comme ton frère et ton ami , je te supplie d' obéir ; comme votre maître , je vous le commande .
Vous irez au roi , vous lui demanderez mes grandesses et mes biens , ma charge et mes titres ; il hésitera peut - être , il fera quelques grimaces royales ; mais vous lui direz que vous êtes aimé de Marie Hérédia , et que Marie ne peut épouser que le duc de Soria .
Vous le verrez alors tressaillant de joie : l' immense fortune des Hérédia l' empêchait de consommer ma ruine ; elle lui paraîtra complète ainsi , vous aurez aussitôt ma dépouille .
Vous épouserez Marie : j' avais surpris le secret de votre mutuel amour combattu . Aussi ai - je préparé le vieux comte à cette substitution . Marie et moi nous obéissions aux convenances et aux voeux de nos pères .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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