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Cette bastide est une bastide : quatre murailles de cailloux revêtues d' un ciment jaunâtre , couvertes de tuiles creuses d' un beau rouge . Les toits plient sous le poids de cette briqueterie . Les fenêtres percées au travers sans aucune symétrie ont des volets énormes peints en jaune .
Le jardin qui entoure cette habitation est un jardin de Provence , entouré de petits murs bâtis en gros cailloux ronds mis par couches , et où le génie du maçon éclate dans la manière dont il les dispose alternativement inclinés ou debout sur leur hauteur : la couche de boue qui les recouvre tombe par places .
La tournure domaniale de cette bastide vient d' une grille , à l' entrée , sur le chemin .
On a longtemps pleuré pour avoir cette grille ; elle est si maigre qu' elle m' a rappelé la soeur Angélique . La maison a un perron en pierre , la porte est décorée d' un auvent que ne voudrait pas un paysan de la Loire pour son élégante maison en pierre blanche à toiture bleue , où rit le soleil .
Le jardin , les alentours sont horriblement poudreux , les arbres sont brûlés .
On voit que , depuis longtemps , la vie du baron consiste à se lever , se coucher et se relever le lendemain sans nul souci que celui d' entasser sou sur sou . Il mange ce que mangent ses deux domestiques , qui sont un garçon provençal et la vieille femme de chambre de sa femme .
Les pièces ont peu de mobilier . Cependant la maison de l' Estorade s' était mise en frais . Elle avait vidé ses armoires , convoqué le ban et l' arrière - ban de ses serfs pour ce dîner , qui nous a été servi dans une vieille argenterie noire et bosselée .
L' exilé , ma chère mignonne , est comme la grille , bien maigre ! Il est pâle , il a souffert , il est taciturne .
à trente - sept ans , il a l' air d' en avoir cinquante . L' ébène de ses ex - beaux cheveux de jeune homme est mélangé de blanc comme l' aile d' une alouette . Ses beaux yeux bleus sont caves ; il est un peu sourd , ce qui le fait ressembler au chevalier de la Triste Figure , néanmoins j' ai consenti gracieusement à devenir Mme de l' Estorade , à me laisser doter de deux cent cinquante mille livres , mais à la condition expresse d' être maîtresse d' arranger la bastide et d' y faire un parc .
J' ai formellement exigé de mon père de me concéder une petite partie d' eau qui peut venir de Maucombe ici .
Dans un mois je serai Mme de l' Estorade , car j' ai plu , ma chère .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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