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V
RENÉE DE MAUCOMBE à LOUISE DE CHAULIEU
Octobre .
Combien ta lettre m' a émue ! émue surtout par la comparaison de nos destinées . Dans quel monde brillant tu vas vivre ! dans quelle paisible retraite achèverai - je mon obscure carrière ! Quinze jours après mon arrivée au château de Maucombe , duquel je t' ai trop parlé pour t' en parler encore , et où j' ai retrouvé ma chambre à peu près dans l' état où je l' avais laissée , mais d' où j' ai pu comprendre le sublime paysage de la vallée de Gémenos , qu' enfant je regardais sans y rien voir , mon père et ma mère , accompagnés de mes deux frères , m' ont menée dîner chez un de nos voisins , un vieux M .
de l' Estorade , gentilhomme devenu très riche comme on devient riche en province , par les soins de l' avarice .
Ce vieillard n' avait pu soustraire son fils unique à la rapacité de Buonaparte ; après l' avoir sauvé de la conscription , il avait été forcé de l' envoyer à l' armée en 1813 , en qualité de garde d' honneur : depuis Leipzig , le vieux baron de l' Estorade n' en avait plus eu de nouvelles .
M .
de Montriveau , que M .
de l' Estorade alla voir en 1814 , lui affirma l' avoir vu prendre par les Russes . Mme de l' Estorade mourut de chagrin en faisant faire d' inutiles recherches en Russie . Le baron , vieillard très chrétien , pratiquait cette belle vertu théologale que nous cultivions à Blois : l' Espérance ! elle lui faisait voir son fils en rêve et il accumulait ses revenus pour ce fils ; il prenait soin des parts de ce fils dans les successions qui lui venaient de la famille de feu Mme de l' Estorade .
Personne n' avait le courage de plaisanter ce vieillard .
J' ai fini par deviner que le retour inespéré de ce fils était la cause du mien .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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