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Et l' on dit les Français légers ! Les hommes sont d' ailleurs parfaitement horribles de quelque façon qu' ils se coiffent . Je n' ai vu que des visages fatigués et durs , où il n' y a ni calme ni tranquillité ; les lignes sont heurtées et les rides annoncent des ambitions trompées , des vanités malheureuses .
Un beau front est rare . " Ah ! voilà les Parisiens , disais - je à miss Griffith . Des hommes bien aimables et bien spirituels " , m' a - t - elle répondu . Je me suis tue . Une fille de trente - six ans a bien de l' indulgence au fond du coeur .
Le soir , je suis allée au bal , et m' y suis tenue aux côtés de ma mère , qui m' a donné le bras avec un dévouement bien récompensé . Les honneurs étaient pour elle , j' ai été le prétexte des plus agréables flatteries .
Elle a eu le talent de me faire danser avec des imbéciles qui m' ont tous parlé de la chaleur comme si j' eusse été gelée , et de la beauté du bal comme si j' étais aveugle . Aucun n' a manqué de s' extasier sur une chose étrange , inouïe , extraordinaire , singulière , bizarre , c' est de m' y voir pour la première fois .
Ma toilette , qui me ravissait dans mon salon blanc et or où je paradais toute seule , était à peine remarquable au milieu des parures merveilleuses de la plupart des femmes .
Chacune d' elles avait ses fidèles , elles s' observaient toutes du coin de l' oeil , plusieurs brillaient d' une beauté triomphante , comme était ma mère .
Au bal , une jeune personne ne compte pas , elle y est une machine à danser . Les hommes , à de rares exceptions près , ne sont pas mieux là qu' aux Champs - Élysées .
Ils sont usés , leurs traits sont sans caractère , ou plutôt ils ont tous le même caractère . Ces mines fières et vigoureuses que nos ancêtres ont dans leurs portraits , eux qui joignaient à la force physique la force morale , n' existent plus .
Cependant il s' est trouvé dans cette assemblée un homme d' un grand talent qui tranchait sur la masse par la beauté de sa figure , mais il ne m' a pas causé la sensation vive qu' il devait communiquer .
Je ne connais pas ses oeuvres , et il n' est pas gentilhomme . Quels que soient le génie et les qualités d' un bourgeois ou d' un homme anobli , je n' ai pas dans le sang une seule goutte pour eux .
D' ailleurs , je l' ai trouvé si fort occupé de lui , si peu des autres , qu' il m' a fait penser que nous devons être des choses et non des êtres pour ces grands chasseurs d' idées .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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