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Je commence à rompre les habitudes du couvent pour prendre celles de la vie du monde . Je t' écris le soir jusqu' au moment où je me couche , qui maintenant est reculé jusqu' à dix heures , l' heure à laquelle ma mère sort quand elle ne va pas à quelque théâtre . Il y a douze théâtres à Paris . Je suis d' une ignorance crasse , et je lis beaucoup , mais je lis indistinctement .
Un livre me conduit à un autre . Je trouve les titres de plusieurs ouvrages sur la couverture de celui que j' ai ; mais personne ne peut me guider , en sorte que j' en rencontre de fort ennuyeux .
Ce que j' ai lu de la littérature moderne roule sur l' amour , le sujet qui nous occupait tant , puisque toute notre destinée est faite par l' homme et pour l' homme ; mais combien ces auteurs sont au - dessous de deux petites filles nommées la biche blanche et la mignonne , Renée et Louise ! Ah ! chère ange , quels pauvres événements , quelle bizarrerie , et combien l' expression de ce sentiment est mesquine ! Deux livres cependant m' ont étrangement plu , l' un est Corinne et l' autre Adolphe .
à propos de ceci , j' ai demandé à mon père si je pourrais voir Mme de Staël .
Ma mère , mon père et Alphonse se sont mis à rire .
Alphonse a dit : " D' où vient - elle donc ? " Mon père a répondu : " Nous sommes bien niais , elle vient des Carmélites . Ma fille , Mme de Staël est morte " , m' a dit la duchesse avec douceur .
" Comment une femme peut - elle être trompée ? ai - je dit à miss Griffith en terminant Adolphe . Mais quand elle aime " , m' a dit miss Griffith . Dis donc , Renée , est - ce qu' un homme pourra nous tromper ? ... Miss Griffith a fini par entrevoir que je ne suis sotte qu' à demi , que j' ai une éducation inconnue , celle que nous nous sommes donnée l' une à l' autre en raisonnant à perte de vue .
Elle a compris que mon ignorance porte seulement sur les choses extérieures .
La pauvre créature m' a ouvert son coeur . Cette réponse laconique , mise en balance contre tous les malheurs imaginables , m' a causé un léger frisson .
La Griffith me répéta de ne me laisser éblouir par rien dans le monde et de me défier de tout , principalement de ce qui me plaira le plus . Elle ne sait et ne peut rien me dire de plus .
Ce discours est trop monotone . Elle se rapproche en ceci de la nature de l' oiseau qui n' a qu' un cri .
DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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