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Or , rien n' attise un sentiment autant que le vent glacé de la persécution . Avec quelle grâce me disait - elle : " Vous voilà , petite masque ! " quand la couleuvre de la curiosité m' avait prêté ses mouvements pour me glisser entre les portes jusqu' à elle . Elle se sentait aimée , elle aimait mon naïf amour qui mettait un rayon de soleil dans son hiver . Je ne sais pas ce qui se passait chez elle le soir mais elle avait beaucoup de monde ; lorsque je venais le matin , sur la pointe du pied , savoir s' il faisait jour chez elle , je voyais les meubles de son salon dérangés , les tables de jeu dressées , beaucoup de tabac par places .
Ce salon est dans le même style que la chambre , les meubles sont singulièrement contournés , les bois sont à moulures creuses , à pieds - de - biche .
Des guirlandes de fleurs richement sculptées et d' un beau caractère serpentent à travers les glaces et descendent le long en festons .
Il y a sur les consoles de beaux cornets de la Chine . Le fond de l' ameublement est ponceau et blanc .
Ma grand - mère était une brune fière et piquante , son teint se devine au choix de ses couleurs . J' ai retrouvé dans ce salon une table à écrire dont les figures avaient beaucoup occupé mes yeux autrefois ; elle est plaquée en argent ciselé ; elle lui a été donnée par un Lomellini de Gênes .
Chaque côté de cette table représente les occupations de chaque saison ; les personnages sont en relief , il y en a des centaines dans chaque tableau .
Je suis restée deux heures toute seule , reprenant mes souvenirs un à un , dans le sanctuaire où a expiré une des femmes de a cour de Louis XV les plus célèbres et par son esprit et par sa beauté .
Tu sais comme on m' a brusquement séparée d' elle , du jour au lendemain , en 1816 . " Allez dire adieu à votre grand - mère " , me dit ma mère . J' ai trouvé la princesse , non pas surprise de mon départ , mais insensible en apparence .
Elle m' a reçue comme à l' ordinaire . " Tu vas au couvent , mon bijou , me dit - elle , tu y verras ta tante , une excellente femme .
J' aurai soin que tu ne sois point sacrifiée , tu seras indépendante et à même de marier qui tu voudras . " Elle est morte six mois après ; elle avait remis son testament au plus assidu de ses vieux amis , au prince de Talleyrand , qui , en faisant une visite à Mlle de Chargeboeuf , a trouvé le moyen de me faire savoir par elle que ma grand - mère me défendait de prononcer des voeux .
J' espère bien que tôt ou tard , je rencontrerai le prince ; et sans doute , il m' en dira davantage .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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