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" Avec le médecin et ses ordonnances " , a - t - elle dit . Le lit est à baldaquin , à dossiers rembourrés , les rideaux sont retroussés par des plis d' une belle ampleur ; les meubles sont en bois doré , couverts de ce damas jaune à fleurs blanches , également drapé aux fenêtres , et qui est doublé d' une étoffe de soie blanche qui ressemble à de la moire .
Les dessus de porte sont peints je ne sais par qui , mais ils représentent un lever du soleil et un clair de lune . La cheminée est traitée fort curieusement . On voit que dans le siècle dernier on vivait beaucoup au coin du feu .
Là se passaient de grands événements : le foyer de cuivre doré est une merveille de sculpture , le chambranle est d' un fini précieux , la pelle et les pincettes sont délicieusement travaillées , le soufflet est un bijou .
La tapisserie de l' écran vient des Gobelins , et sa monture est exquise ; les folles figures qui courent le long , sur les pieds , sur la barre d' appui , sur les branches , sont ravissantes ; tout en est ouvragé comme un éventail .
Qui lui avait donné ce joli meuble qu' elle aimait beaucoup ? je voudrais le savoir . Combien de fois je l' ai vue , le pied sur la barre , enfoncée dans sa bergère , sa robe à demi relevée sur le genou par son attitude , prenant , remettant et reprenant sa tabatière sur la tablette entre sa boîte à pastilles et ses mitaines de soie ! Était - elle coquette ? Jusqu' au jour de sa mort elle a eu soin d' elle comme si elle se trouvait au lendemain de ce beau portrait , comme si elle attendait la fleur de la cour qui se pressait autour d' elle .
Cette bergère m' a rappelé l' inimitable mouvement qu' elle donnait à ses jupes en s' y plongeant .
Ces femmes du temps passé emportent avec elles certains secrets qui peignent leur époque .
La princesse avait des airs de tête , une manière de jeter ses mots et ses regards , un langage particulier que je ne retrouvais point chez ma mère : il s' y trouvait de la finesse et de la bonhomie , du dessein sans apprêt ; sa conversation était à la fois prolixe et laconique , elle contait bien et peignait en trois mots .
Elle avait surtout cette excessive liberté de jugement qui certes a influé sur la tournure de mon esprit .
De sept à dix ans , j' ai vécu dans ses poches ; elle aimait autant à m' attirer chez elle que j' aimais à y aller .
Cette prédilection a été cause de plus d' une querelle entre elle et ma mère .

DEUX JEUNES MARIEES (I, privé)
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