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Quant à Eve , elle était bien de ces soeurs qui savent dire à un frère en faute : " Pardonne - moi tes torts ... " Lorsque l' union des âmes a été parfaite comme elle le fut au début de la vie entre Eve et Lucien , toute atteinte à ce beau idéal du sentiment est mortelle .
Là où des scélérats se raccommodent après des coups de poignard , les amoureux se brouillent irrévocablement pour un regard , pour un mot . Dans ce souvenir de la quasi - perfection de la vie du coeur se trouve le secret de séparations souvent inexplicables .
On peut vivre avec une défiance au coeur , alors que le passé n' offre pas le tableau d' une affection pure et sans nuages ; mais , pour deux êtres autrefois parfaitement unis , la vie , quand le regard , la parole exigent des précautions , devient insupportable .
Aussi les grands poètes font - ils mourir leurs Paul et Virginie au sortir de l' adolescence .
Comprendriez - vous Paul et Virginie brouillés ? ... Remarquons , à la gloire d' Eve et de Lucien , que les intérêts , si fortement blessés , n' avivaient point ces blessures : chez la soeur irréprochable , comme chez le poète en faute , tout était sentiment ; aussi le moindre malentendu , la plus petite querelle , un nouveau mécompte dû à Lucien pouvait - il les désunir ou inspirer une de ces querelles qui brouillent irrévocablement les familles .
En fait d' argent tout s' arrange ; mais les sentiments sont impitoyables .
Le lendemain Lucien reçut un numéro du journal d' Angoulême et pâlit de plaisir en se voyant le sujet d' un des premiers Premiers - Angoulême que se permit cette estimable feuille qui , semblable aux Académies de province , en fille bien élevée , selon le mot de Voltaire , ne faisait jamais parler d' elle .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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