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Cavalier avait apporté son savoir - faire , Fendant y avait joint son industrie . Le fonds social méritait éminemment ce titre , car il consistait en quelques milliers de francs , épargnes péniblement amassées par leurs maîtresses , sur lesquels ils s' étaient attribué l' un et l' autre des appointements assez considérables , très scrupuleusement dépensés en dîners offerts aux journalistes et aux auteurs , au spectacle où se faisaient , disaient - ils , les affaires . Ces demi - fripons passaient tous deux pour habiles ; mais Fendant était plus rusé que Cavalier .
Digne de son nom , Cavalier voyageait , Fendant dirigeait les affaires à Paris . Cette association fut ce qu' elle sera toujours entre deux libraires , un duel . Les associés occupaient le rez - de - chaussée d' un de ces vieux hôtels de la rue Serpente , où le cabinet de la maison se trouvait au bout de vastes salons convertis en magasins .
Ils avaient déjà publié beaucoup de romans , tels que La Tour du Nord , Le Marchand de Bénarès , La Fontaine du sépulcre , Tekeli , les romans de Galt , auteur anglais qui n' a pas réussi en France .
Le succès de Walter Scott éveillait tant l' attention de la librairie sur les produits de l' Angleterre , que les libraires étaient tous préoccupés , en vrais Normands , de la conquête de l' Angleterre ; ils y cherchaient du Walter Scott , comme plus tard on devait chercher des asphaltes dans les terrains caillouteux , du bitume dans les marais , et réaliser des bénéfices sur les chemins de fer en projet .
Une des plus grandes niaiseries du commerce parisien est de vouloir trouver le succès dans les analogues , quand il est dans les contraires .
à Paris surtout , le succès tue le succès .
Aussi sous le titre de Les Strelitz , ou La Russie il y a cent ans , Fendant et Cavalier inséraient - ils bravement en grosses lettres , dans le genre de Walter Scott .
Fendant et Cavalier avaient soif d' un succès : un bon livre pouvait leur servir à écouler leurs ballots de piles , et ils avaient été affriolés par la perspective d' avoir des articles dans les journaux , la grande condition de la vente d' alors , car il est extrêmement rare qu' un livre soit acheté pour sa propre valeur , il est presque toujours publié par des raisons étrangères à son mérite .
Fendant et Cavalier voyaient en Lucien le journaliste , et dans son livre une fabrication dont la première vente leur faciliterait une fin de mois .
Les journalistes trouvèrent les associés dans leur cabinet , le traité tout prêt , les billets signés .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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