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Ainsi , des deux côtés , une bordure infâme et nauséabonde semblait défendre l' approche des Galeries aux gens délicats , mais les gens délicats ne reculaient pas plus devant ces horribles choses que les princes des contes de fées ne reculent devant les dragons et les obstacles interposés par un mauvais génie entre eux et les princesses . Ces galeries étaient comme aujourd' hui percées au milieu par un passage , et comme aujourd' hui l' on y pénétrait encore par les deux péristyles actuels commencés avant la Révolution et abandonnés faute d' argent .
La belle galerie de pierre qui mène au Théâtre - Français formait alors un passage étroit d' une hauteur démesurée et si mal couvert qu' il y pleuvait souvent . On la nommait Galerie Vitrée , pour la distinguer des Galeries de Bois .
Les toitures de ces bouges étaient toutes d' ailleurs en si mauvais état , que la Maison d' Orléans eut un procès avec un célèbre marchand de cachemires et d' étoffes qui , pendant une nuit , trouva des marchandises avariées pour une somme considérable .
Le marchand eut gain de cause . Une double toile goudronnée servait de couverture en quelques endroits .
Le sol de la Galerie Vitrée , où Chevet commença sa fortune , et celui des Galeries de Bois étaient le sol naturel de Paris , augmenté du sol factice amené par les bottes et les souliers des passants .
En tout temps , les pieds heurtaient des montagnes et des vallées de boue durcie , incessamment balayées par les marchands , et qui demandaient aux nouveaux venus une certaine habitude pour y marcher .
Ce sinistre amas de crottes , ces vitrages encrassés par la pluie et par la poussière , ces huttes plates et couvertes de haillons au - dehors , la saleté des murailles commencées , cet ensemble de choses qui tenait du camp des Bohémiens , des baraques d' une foire , des constructions provisoires avec lesquelles on entoure à Paris les monuments qu' on ne bâtit pas , cette physionomie grimaçante allait admirablement aux différents commerces qui grouillaient sous ce hangar impudique , effronté , plein de gazouillements et d' une gaieté folle , où , depuis la Révolution de 1789 jusqu' à la Révolution de 1830 , il s' est fait d' immenses affaires .
Pendant vingt années , la Bourse s' est tenue en face , au rez - de - chaussée du Palais .
Ainsi , l' opinion publique , les réputations se faisaient et se défaisaient là , aussi bien que les affaires politiques et financières .
On se donnait rendez - vous dans ces galeries avant et après la Bourse .
Le Paris des banquiers et des commerçants encombrait souvent la cour du Palais - Royal , et refluait sous ces abris par les temps de pluie .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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