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Il en est temps , abdiquez avant de mettre un pied sur la première marche du trône que se disputent tant d' ambitions , et ne vous déshonorez pas comme je le fais pour vivre . ( Une larme mouilla les yeux d' Étienne Lousteau . ) Savez - vous comment je vis ? reprit - il avec un accent de rage .
Le peu d' argent que pouvait me donner ma famille fut bientôt mangé . Je me trouvai sans ressource après avoir fait recevoir une pièce au Théâtre - Français . Au Théâtre - Français , la protection d' un prince ou d' un premier gentilhomme de la chambre du Roi ne suffit pas pour faire obtenir un tour de faveur : les comédiens ne cèdent qu' à ceux qui menacent leur amour - propre .
Si vous aviez le pouvoir de faire dire que le jeune premier a un asthme , la jeune première une fistule où vous voudrez , que la soubrette tue les mouches au vol , vous seriez joué demain .
Je ne sais pas si dans deux ans d' ici je serai , moi qui vous parle , en état d' obtenir un semblable pouvoir : il faut trop d' amis .
Où , comment et par quoi gagner mon pain , fut une question que je me suis faite en sentant les atteintes de la faim .
Après bien des tentatives , après avoir écrit un roman anonyme payé deux cents francs par Doguereau , qui n' y a pas gagné grand - chose , il m' a été prouvé que le journalisme seul pourrait me nourrir .
Mais comment entrer dans ces boutiques ? Je ne vous raconterai pas mes démarches et mes sollicitations inutiles , ni six mois passés à travailler comme surnuméraire et à m' entendre dire que j' effarouchais l' abonné , quand au contraire je l' apprivoisais .
Passons sur ces avanies . Je rends compte aujourd' hui des théâtres du boulevard , presque gratis , dans le journal qui appartient à Finot , ce gros garçon qui déjeune encore deux ou trois fois par mois au café Voltaire ( mais vous n' y allez pas ! ) .
Finot est rédacteur en chef . Je vis en vendant les billets que me donnent les directeurs de ces théâtres pour solder ma sous - bienveillance au journal , les livres que m' envoient les libraires et dont je dois parler .
Enfin je trafique , une fois Finot satisfait , des tributs en nature qu' apportent les industries pour lesquelles ou contre lesquelles il me permet de lancer des articles .
L' Eau carminative , la Pâte des Sultanes , l' Huile céphalique , la Mixture brésilienne payent un article goguenard vingt ou trente francs .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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