----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

- Et pourquoi ? demanda Lucien .
- Nous lisons dans ton coeur , répondit Joseph Bridau .
- Il y a chez toi , lui dit Michel Chrestien , un esprit diabolique avec lequel tu justifieras à tes propres yeux les choses les plus contraires à nos principes : au lieu d' être un sophiste d' idées , tu seras un sophiste d' action .
- Ah ! j' en ai peur , dit d' Arthez . Lucien , tu feras en toi - même des discussions admirables où tu seras grand , et qui aboutiront à des faits blâmables ... Tu ne seras jamais d' accord avec toi - même .
- Sur quoi donc appuyez - vous votre réquisitoire ? demanda Lucien .
- Ta vanité , mon cher poète , est si grande , que tu en mets jusque dans ton amitié ! s' écria Fulgence . Toute vanité de ce genre accuse un effroyable égoïsme , et l' égoïsme est le poison de l' amitié .
- Oh ! mon Dieu , s' écria Lucien , vous ne savez donc pas combien je vous aime .
- Si tu nous aimais comme nous nous aimons , aurais - tu mis tant d' empressement et tant d' emphase à nous rendre ce que nous avions tant de plaisir à te donner ?
- On ne se prête rien ici , on se donne , lui dit brutalement Joseph Bridau .
- Ne nous crois pas rudes , mon cher enfant , lui dit Michel Chrestien , nous sommes prévoyants . Nous avons peur de te voir un jour préférant les joies d' une petite vengeance aux joies de notre pure amitié .
Lis Le Tasse de Goethe , la plus grande oeuvre de ce beau génie , et tu y verras que le poète aime les brillantes étoffes , les festins , les triomphes , l' éclat : eh bien , sois le Tasse sans sa folie .
Le monde et ses plaisirs t' appelleront ? ... reste ici . Transporte dans la région des idées tout ce que tu demandes à tes vanités . Folie pour folie , mets la vertu dans tes actions et le vice dans tes idées ; au lieu , comme te le disait d' Arthez , de bien penser et de te mal conduire .
"
Lucien baissa la tête : ses amis avaient raison .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
Page: 325