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à la vérité , ça n' en donne pas non plus ! " Lucien prit son manuscrit , le jeta par terre en s' écriant : " J' aime mieux le brûler , monsieur !
- Vous avez une tête de poète " , dit le vieillard .
Lucien dévora sa flûte , lappa son lait et descendit . Sa chambre n' était pas assez vaste , il y aurait tourné sur lui - même comme un lion dans sa cage au Jardin des Plantes . à la bibliothèque Sainte - Geneviève , où Lucien comptait aller , il avait toujours aperçu dans le même coin un jeune homme d' environ vingt - cinq ans qui travaillait avec cette application soutenue que rien ne distrait ni dérange , et à laquelle se reconnaissent les véritables ouvriers littéraires .
Ce jeune homme y venait sans doute depuis longtemps , les employés et le bibliothécaire lui - même avaient pour lui des complaisances ; le bibliothécaire lui laissait emporter des livres que Lucien voyait rapporter le lendemain par le studieux inconnu , dans lequel le poète reconnaissait un frère de misère et d' espérance .
Petit , maigre et pâle , ce travailleur cachait un beau front sous une épaisse chevelure noire assez mal tenue , il avait de belles mains , il attirait le regard des indifférents par une vague ressemblance avec le portrait de Bonaparte gravé d' après Robert Lefebvre .
Cette gravure est tout un poème de mélancolie ardente , d' ambition contenue , d' activité cachée .
Examinez - la bien ? Vous y trouverez du génie et de la discrétion , de la finesse et de la grandeur .
Les yeux ont de l' esprit comme des yeux de femme .
Le coup d' oeil est avide de l' espace et désireux de difficultés à vaincre . Le nom de Bonaparte ne serait pas écrit au - dessous , vous le contempleriez tout aussi longtemps .
Le jeune homme qui réalisait cette gravure avait ordinairement un pantalon à pied dans des souliers à grosses semelles , une redingote de drap commun , une cravate noire , un gilet de drap gris , mélangé de blanc , boutonné jusqu' en haut , et un chapeau à bon marché .
Son dédain pour toute toilette inutile était visible . Ce mystérieux inconnu , marqué du sceau que le génie imprime au front de ses esclaves , Lucien le retrouvait chez Flicoteaux le plus régulier de tous les habitués ; il y mangeait pour vivre , sans faire attention à des aliments avec lesquels il paraissait familiarisé , il buvait de l' eau .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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