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Là , tout est en rapport avec les vicissitudes de l' agriculture et les caprices des saisons françaises . On y apprend des choses dont ne se doutent pas les riches , les oisifs , les indifférents aux phases de la nature . L' étudiant parqué dans le quartier Latin y a la connaissance la plus exacte des Temps : il sait quand les haricots et les petits pois réussissent , quand la Halle regorge de choux , quelle salade y abonde , et si la betterave a manqué .
Une vieille calomnie , répétée au moment où Lucien y venait , consistait à attribuer l' apparition des biftecks à quelque mortalité sur les chevaux .
Peu de restaurants parisiens offrent un si beau spectacle . Là vous ne trouvez que jeunesse et foi , que misère gaiement supportée , quoique cependant les visages ardents et graves , sombres et inquiets n' y manquent pas .
Les costumes sont généralement négligés . Aussi remarque - t - on les habitués qui viennent bien mis . Chacun sait que cette tenue extraordinaire signifie : maîtresse attendue , partie de spectacle ou visite dans les sphères supérieures .
Il s' y est , dit - on , formé quelques amitiés entre plusieurs étudiants devenus plus tard célèbres , comme on le verra dans cette histoire .
Néanmoins , excepté les jeunes gens du même pays réunis au même bout de table , généralement les dîneurs ont une gravité qui se déride difficilement , peut - être à cause de la catholicité du vin qui s' oppose à toute expansion .
Ceux qui ont cultivé Flicoteaux peuvent se rappeler plusieurs personnages sombres et mystérieux , enveloppés dans les brumes de la plus froide misère , qui ont pu dîner là pendant deux ans , et disparaître sans qu' aucune lumière ait éclairé ces farfadets parisiens aux yeux des plus curieux habitués .
Les amitiés ébauchées chez Flicoteaux se scellaient dans les cafés voisins aux flammes d' un punch liquoreux , ou à la chaleur d' une demi - tasse de café bénie par un gloria quelconque .
Pendant les premiers jours de son installation à l' hôtel de Cluny , Lucien , comme tout néophyte , eut des allures timides et régulières . Après la triste épreuve de la vie élégante qui venait d' absorber ses capitaux , il se jeta dans le travail avec cette première ardeur que dissipent si vite les difficultés et les amusements que Paris offre à toutes les existences , aux plus luxueuses comme aux plus pauvres , et qui , pour être domptés , exigent la sauvage énergie du vrai talent ou le sombre vouloir de l' ambition .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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