----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----
La curiosité la poussa naturellement à contempler ces héros qui conquéraient l' Europe sur un mot mis à l' ordre du jour , et qui renouvelaient les fabuleux exploits de la chevalerie . Les villes les plus avaricieuses et les plus réfractaires étaient obligées de fêter la Garde impériale , au - devant de laquelle allaient les maires et les préfets , une harangue en bouche , comme pour la Royauté .
Mme de Bargeton , venue à une redoute offerte par un régiment à la ville , s' éprit d' un gentilhomme , simple sous - lieutenant à qui le rusé Napoléon avait montré le bâton de maréchal de France .
Cette passion contenue , noble , grande , et qui contrastait avec les passions alors si facilement nouées et dénouées , fut chastement consacrée par la main de la mort .
à Wagram , un boulet de canon écrasa sur le coeur du marquis de Cante - Croix le seul portrait qui attestât la beauté de Mme de Bargeton .
Elle pleura longtemps ce beau jeune homme , qui en deux campagnes était devenu colonel , échauffé par la gloire , par l' amour , et qui mettait une lettre de Naïs au - dessus des distinctions impériales .
La douleur jeta sur la figure de cette femme un voile de tristesse . Ce nuage ne se dissipa qu' à l' âge terrible où la femme commence à regretter ses belles années passées sans qu' elle en ait joui , où elle voit ses roses se faner , où les désirs d' amour renaissent avec l' envie de prolonger les derniers sourires de la jeunesse .
Toutes ses supériorités firent plaie dans son âme au moment où le froid de la province la saisit .
Comme l' hermine , elle serait morte de chagrin si , par hasard , elle se fût souillée au contact d' hommes qui ne pensaient qu' à jouer quelques sous , le soir , après avoir bien dîné .
Sa fierté la préserva des tristes amours de la province . Entre la nullité des hommes qui l' entouraient et le néant , une femme si supérieure dut préférer le néant .
Le mariage et le monde furent donc pour elle un monastère . Elle vécut par la poésie , comme la carmélite vit par la religion . Les ouvrages des illustres étrangers jusqu' alors inconnus qui se publièrent de 1815 à 1821 , les grands traités de M .
de Bonald et ceux de M . de Maistre , ces deux aigles penseurs , enfin les oeuvres moins grandioses de la littérature française qui poussa si vigoureusement ses premiers rameaux , lui embellirent sa solitude , mais n' assouplirent ni son esprit ni sa personne .
ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
Page: 159