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L' État avait fondé à Ruelle sa plus considérable fonderie de canons pour la marine . Le roulage , la poste , les auberges , le charronnage , les entreprises de voitures publiques , toutes les industries qui vivent par la route et par la rivière , se groupèrent au bas d' Angoulême pour éviter les difficultés que présentent ses abords .
Naturellement les tanneries , les blanchisseries , tous les commerces aquatiques restèrent à la portée de la Charente ; puis les magasins d' eaux - de - vie , les dépôts de toutes les matières premières voiturées par la rivière , enfin tout le transit borda la Charente de ses établissements .
Le faubourg de l' Houmeau devint donc une ville industrieuse et riche , une seconde Angoulême que jalousa la ville haute où restèrent le Gouvernement , l' Évêché , la Justice , l' aristocratie .
Ainsi , l' Houmeau , malgré son active et croissante puissance , ne fut qu' une annexe d' Angoulême .
En haut la Noblesse et le Pouvoir , en bas le Commerce et l' Argent ; deux zones sociales constamment ennemies en tous lieux ; aussi est - il difficile de deviner qui des deux villes hait le plus sa rivale .
La Restauration avait depuis neuf ans aggravé cet état de choses assez calme sous l' Empire . La plupart des maisons du haut Angoulême sont habitées ou par des familles nobles ou par d' antiques familles bourgeoises qui vivent de leurs revenus , et composent une sorte de nation autochtone dans laquelle les étrangers ne sont jamais reçus .
à peine si , après deux cents ans d' habitation , si après une alliance avec l' une des familles primordiales , une famille venue de quelque province voisine se voit adoptée ; aux yeux des indigènes elle semble être arrivée d' hier dans le pays .
Les préfets , les receveurs généraux , les administrations qui se sont succédé depuis quarante ans , ont tenté de civiliser ces vieilles familles perchées sur leur roche comme des corbeaux défiants : les familles ont accepté leurs fêtes et leurs dîners ; mais quant à les admettre chez elles , elles s' y sont refusées constamment .
Moqueuses , dénigrantes , jalouses , avares , ces maisons se marient entre elles , se forment en bataillon serré pour ne laisser ni sortir ni entrer personne ; les créations du luxe moderne , elles les ignorent ; pour elles , envoyer un enfant à Paris , c' est vouloir le perdre .
Cette prudence peint les moeurs et les coutumes arriérées de ces familles atteintes d' un royalisme inintelligent , entichées de dévotion plutôt que religieuses , qui toutes vivent immobiles comme leur ville et son rocher .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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