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Le prix de la pharmacie lui permit de se constituer trois cents francs de rente , somme insuffisante pour sa propre existence ; mais elle et sa fille acceptèrent leur position sans en rougir , et se vouèrent à des travaux mercenaires . La mère gardait les femmes en couches , et ses bonnes façons la faisaient préférer à toute autre dans les maisons riches , où elle vivait sans rien coûter à ses enfants , tout en gagnant vingt sous par jour .
Pour éviter à son fils le désagrément de voir sa mère dans un pareil abaissement de condition , elle avait pris le nom de Mme Charlotte .
Les personnes qui réclamaient ses soins s' adressaient à M . Postel , le successeur de M . Chardon .
La soeur de Lucien travaillait chez une très honnête femme , considérée à l' Houmeau , nommée Mme Prieur , blanchisseuse de fin , sa voisine , et gagnait environ quinze sous par jour . Elle conduisait les ouvrières , et jouissait dans l' atelier d' une espèce de suprématie qui la sortait un peu de la classe des grisettes .
Les faibles produits de leur travail , joints aux trois cents livres de rente de Mme Chardon , arrivaient environ à huit cents francs par an , avec lesquels ces trois personnes devaient vivre , s' habiller et se loger .
La stricte économie de ce ménage rendait à peine suffisante cette somme , presque entièrement absorbée par Lucien .
Mme Chardon et sa fille Eve croyaient en Lucien comme la femme de Mahomet crut en son mari ; leur dévouement à son avenir était sans bornes . Cette pauvre famille demeurait à l' Houmeau dans un logement loué pour une très modique somme par le successeur de M .
Chardon , et situé au fond d' une cour intérieure , au - dessus du laboratoire . Lucien y occupait une misérable chambre en mansarde .
Stimulé par un père qui , passionné pour les sciences naturelles , l' avait d' abord poussé dans cette voie , Lucien fut un des plus brillants élèves du collège d' Angoulême , où il se trouvait en Troisième lorsque Séchard y finissait ses études .
Quand le hasard fit rencontrer les deux camarades de collège , Lucien , fatigué de boire à la grossière coupe de la misère , était sur le point de prendre un de ces partis extrêmes auxquels on se décide à vingt ans .
Quarante francs par mois que David donna généreusement à Lucien en s' offrant à lui apprendre le métier de prote , quoiqu' un prote lui fût parfaitement inutile , sauva Lucien de son désespoir .

ILLUSIONS PERDUES (V, provinc)
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