----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

En haut d' une délicieuse vallée , nommée la Vallée Coquette , à cause de ses sinuosités , de ses courbes qui renaissent à chaque pas , et paraissent plus belles à mesure que l' on s' y avance , soit qu' on en monte ou qu' on en descende le joyeux cours , demeurait dans une petite maison entourée d' un clos de vignes un homme à peu près fou , nommé Margaritis . D' origine italienne , Margaritis était marié , n' avait point d' enfant , et sa femme le soignait avec un courage généralement apprécié .
Mme Margaritis courait certainement des dangers près d' un homme qui , entre autres manies , voulait porter sur lui deux couteaux à longue lame , avec lesquels il la menaçait parfois . Mais qui ne connaît l' admirable dévouement avec lequel les gens de province se consacrent aux êtres souffrants , peut - être à cause du déshonneur qui attend une bourgeoise si elle abandonne son enfant ou son mari aux soins publics de l' hôpital ? Puis , qui ne connaît aussi la répugnance qu' ont les gens de province à payer la pension de cent louis ou de mille écus exigée à Charenton , ou par les maisons de santé ? Si quelqu' un parlait à Mme Margaritis des docteurs Dubuisson , Esquirol , Blanche ou autres , elle préférait avec une noble indignation garder ses trois mille francs en gardant le bonhomme .
Les incompréhensibles volontés que dictait la folie à ce bonhomme se trouvant liées au dénouement de cette aventure , il est nécessaire d' indiquer les plus saillantes .
Margaritis sortait aussitôt qu' il pleuvait à verse , et se promenait , tête nue , dans ses vignes .
Au logis , il demandait à tout moment le journal ; pour le contenter , sa femme ou sa servante lui donnait un vieux journal d' Indre - et - Loire ; et depuis sept ans , il ne s' était point encore aperçu qu' il lisait toujours le même numéro .
Peut - être un médecin n' eût - il pas observé sans intérêt le rapport qui existait entre la recrudescence des demandes de journal et les variations atmosphériques .
La plus constante occupation de ce fou consistait à vérifier l' état du ciel , relativement à ses effets sur la vigne .

ILLUSTRE GAUDISSART (IV, provinc)
Page: 579