----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Donc , les idées conçues , après boire , dans le cerveau de quelques - uns de ces Parisiens en apparence oisifs , mais qui livrent des batailles morales en vidant bouteille ou levant la cuisse d' un faisan , furent livrées , le lendemain de leur naissance cérébrale , à des commis voyageurs chargés de présenter avec adresse , urbi et orbi , à Paris et en province , le lard grillé des annonces et des prospectus , au moyen desquels se prend , dans la souricière de l' entreprise , ce rat départemental vulgairement appelé tantôt l' abonné , tantôt l' actionnaire , tantôt membre correspondant , quelquefois souscripteur ou protecteur , mais partout un niais .
" Je suis un niais ! " a dit plus d' un pauvre propriétaire attiré par la perspective d' être fondateur de quelque chose , et qui , en définitive , se trouve avoir fondu mille ou douze cents francs .
" Les abonnés sont des niais qui ne veulent pas comprendre que , pour aller en avant dans le royaume intellectuel , il faut plus d' argent que pour voyager en Europe , etc . " , dit le spéculateur .
Il existe donc un perpétuel combat entre le public retardataire qui se refuse à payer les contributions parisiennes , et les percepteurs qui , vivant de leurs recettes , lardent le public d' idées nouvelles , le bardent d' entreprises , le rôtissent de prospectus , l' embrochent de flatteries , et finissent par le manger à quelque nouvelle sauce dans laquelle il s' empêtre et dont il se grise , comme une mouche de sa plombagine .
Aussi , depuis 1830 , que n' a - t - on pas prodigué pour stimuler en France le zèle , l' amour - propre des masses intelligentes et progressives ! Les titres , les médailles , les diplômes , espèce de Légion d' honneur inventée pour le commun des martyrs , se sont rapidement succédé .
Enfin toutes les fabriques de produits intellectuels ont découvert un piment , un gingembre spécial , leurs réjouissances .
De là les primes , de là les dividendes anticipés ; de là cette conscription de noms célèbres levée à l' insu des infortunés artistes qui les portent , et se trouvent ainsi coopérer activement à plus d' entreprises que l' année n' a de jours , car la loi n' a pas prévu le vol des noms .
De là ce rapt des idées , que , semblables aux marchands d' esclaves en Asie , les entrepreneurs d' esprit public arrachent au cerveau paternel à peine écloses , et déshabillent et traînent aux yeux de leur sultan hébété , leur Shahabaham , ce terrible public qui , s' il ne s' amuse pas , leur tranche la tête en leur retranchant leur picotin d' or .
Cette folie de notre époque vint donc réagir sur l' Illustre Gaudissart , et voici comment . Une compagnie d' assurances sur la vie et les capitaux entendit parler de son irrésistible éloquence , et lui proposa des avantages inouïs , qu' il accepta .

ILLUSTRE GAUDISSART (IV, provinc)
Page: 567