----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

" Jamais nom ne fut plus en harmonie avec la tournure , les manières , la physionomie , la voix , le langage d' aucun homme . Tout souriait au voyageur et le voyageur souriait à tout . Similia similibus , il était pour l' homéopathie . Calembours , gros rire , figure monacale , teint de cordelier , enveloppe rabelaisienne ; vêtement , corps , esprit , figure s' accordaient pour mettre de la gaudisserie , de la gaudriole en toute sa personne .
Rond en affaires , bon homme , rigoleur , vous eussiez reconnu en lui l' homme aimable de la grisette , qui grimpe avec élégance sur l' impériale d' une voiture , donne la main à la dame embarrassée pour descendre du coupé , plaisante en voyant le foulard du postillon , et lui vend un chapeau ; sourit à la servante , la prend ou par la taille ou par les sentiments ; imite à table le glouglou d' une bouteille en se donnant des chiquenaudes sur une joue tendue ; sait faire partir de la bière en insufflant l' air entre ses lèvres ; tape de grands coups de couteau sur les verres à vin de Champagne sans les casser , et dit aux autres : " Faites - en autant ! " ; qui gouaille les voyageurs timides , dément les gens instruits , règne à table et y gobe les meilleurs morceaux .
Homme fort d' ailleurs , il pouvait quitter à temps toutes ses plaisanteries , et semblait profond au moment où , jetant le bout de son cigare , il disait en regardant une ville : " Je vais voir ce que ces gens - là ont dans le ventre ! " Gaudissart devenait alors le plus fin , le plus habile des ambassadeurs .
Il savait entrer en administrateur chez le sous - préfet , en capitaliste chez le banquier , en homme religieux et monarchique chez le royaliste , en bourgeois chez le bourgeois ; enfin il était partout ce qu' il devait être , laissait Gaudissart à la porte et le reprenait en sortant .
Jusqu' en 1830 , l' Illustre Gaudissart était resté fidèle à l' Article - Paris . En s' adressant à la majeure partie des fantaisies humaines , les diverses branches de ce commerce lui avaient permis d' observer les replis du coeur , lui avaient enseigné les secrets de son éloquence attractive , la manière de faire dénouer les cordons des sacs les mieux ficelés , de réveiller les caprices des femmes , des maris , des enfants , des servantes , et de les engager à les satisfaire .
Nul mieux que lui ne connaissait l' art d' amorcer les négociants par les charmes d' une affaire , et de s' en aller au moment où le désir arrivait à son paroxysme .

ILLUSTRE GAUDISSART (IV, provinc)
Page: 565