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Le qui - vive perpétuel surprend toujours mon coeur en sursaut , je n' ai point su fixer dans mon âme cette vigilance à l' oreille agile , à la parole mensongère , à l' oeil de lynx . Ce n' est pas une bouche aimée qui boit mes larmes et qui bénit mes paupières , c' est un mouchoir qui les étanche ; c' est l' eau qui rafraîchit mes yeux enflammés et non des lèvres aimées .
Je suis comédienne avec mon âme , et voilà peut - être pourquoi je meurs ! J' enferme le chagrin avec tant de soin qu' il n' en paraît rien au - dehors , il faut bien qu' il ronge quelque chose , il s' attaque à ma vie .
J' ai dit aux médecins qui ont découvert mon secret : ' Faites - moi mourir d' une maladie plausible , autrement j' entraînerais mon mari . ' Il est donc convenu entre MM . Desplein , Bianchon et moi que je meurs d' un ramollissement de je ne sais quel os que la science a parfaitement décrit .
Octave se croit adoré ! ... Me comprenez - vous bien ? Aussi ai - je peur qu' il ne me suive . Je vous écris pour vous prier d' être , dans ce cas , le tuteur du jeune comte .
Vous trouverez ci - joint un codicille où j' exprime ce voeu : vous n' en ferez usage qu' au moment où ce serait nécessaire , car peut - être ai - je de la fatuité .
Mon dévouement caché laissera peut - être Octave inconsolable , mais vivant ! Pauvre Octave ! je lui souhaite une femme meilleure que moi , car il mérite bien d' être aimé . Puisque mon spirituel espion s' est marié , qu' il se rappelle ce que la fleuriste de la rue Saint - Maur lui lègue ici comme enseignement : Que votre femme soit promptement mère ! Jetez - la dans les matérialités les plus vulgaires du ménage ; empêchez - la de cultiver dans son coeur la mystérieuse fleur de l' Idéal , cette perfection céleste à laquelle j' ai cru , cette fleur enchantée , aux couleurs ardentes , et dont les parfums inspirent le dégoût des réalités .
Je suis une sainte Thérèse qui n' a pu se nourrir d' extases , au fond d' un couvent avec le divin Jésus , avec un ange irréprochable , ailé , pour venir et pour s' enfuir à propos .
Vous m' avez vue heureuse au milieu de mes fleurs bien - aimées .
Je ne vous ai pas tout dit : je voyais l' amour fleurissant sous votre fausse folie , je vous ai caché mes pensées , mes poésies , je ne vous ai pas fait entrer dans mon beau royaume .
Enfin , vous aimerez mon enfant pour l' amour de moi , s' il se trouvait un jour sans son pauvre père .
Gardez mes secrets comme la tombe me gardera .

HONORINE (II, privé)
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