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Deux mois après , tourmenté par Octave , par MM . de Grandville et de Sérizy , mes protecteurs , accablé par la perte que je fis de mon oncle , je consentis à me marier .
" Six mois après la révolution de Juillet , je reçus la lettre que voici et qui finit l' histoire de ce ménage .
" " Monsieur Maurice , je meurs , quoique mère , et peut - être parce que je suis mère . J' ai bien joué mon rôle de femme : j' ai trompé mon mari , j' ai eu des joies aussi vraies que les larmes répandues au théâtre par les actrices .
Je meurs pour la Société , pour la Famille , pour le Mariage , comme les premiers chrétiens mouraient pour Dieu . Je ne sais pas de quoi je meurs , je le cherche avec bonne foi , car je ne suis pas entêtée ; mais je tiens à vous expliquer mon mal , à vous qui avez amené le chirurgien céleste , votre oncle , à la parole de qui je me suis rendue ; il a été mon confesseur , je l' ai gardé dans sa dernière maladie , et il m' a montré le ciel en m' ordonnant de continuer à faire mon devoir .
Et j' ai fait mon devoir .
Je ne blâme pas celles qui oublient , je les admire comme des natures fortes , nécessaires ; mais j' ai l' infirmité du souvenir ! ... Cet amour de coeur qui nous identifie à l' homme aimé , je n' ai pu le ressentir deux fois .
Jusqu' au dernier moment , vous le savez , j' ai crié dans votre coeur , au confessionnal , à mon mari : ' Ayez pitié de moi ! ... ' Tout fut sans pitié .
Eh bien , je meurs . Je meurs en déployant un courage inouï . Jamais courtisane ne fut plus gaie que moi . Mon pauvre Octave est heureux , je laisse son amour se repaître des mirages de mon coeur .
à ce jeu terrible je prodigue mes forces , la comédienne est applaudie , fêtée , accablée de fleurs ; mais le rival invisible vient chercher tous les jours sa proie , un lambeau de ma vie .
Déchirée , je souris ! Je souris à deux enfants , mais l' aîné , le mort triomphe ! Je vous l' ai déjà dit : l' enfant mort m' appellera , et je vais à lui .
L' intimité sans l' amour est une situation où mon âme se déshonore à toute heure . Je ne puis pleurer ni m' abandonner à mes rêveries que seule . Les exigences du monde , celles de ma maison , le soin de mon enfant , celui du bonheur d' Octave ne me laissent pas un instant pour me retremper , pour puiser de la force comme j' en trouvais dans ma solitude .

HONORINE (II, privé)
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