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Une jeune fille est comme une fleur qu' on a cueillie ; mais la femme coupable est une fleur sur laquelle on a marché . Vous êtes fleuriste , vous devez savoir s' il est possible de redresser cette tige , de raviver ces couleurs flétries , de ramener la sève dans ces tubes si délicats et dont toute la puissance végétative vient de leur parfaite rectitude ... Si quelque botaniste se livrait à cette opération , cet homme de génie effacerait - il les plis de la tunique froissée ? il referait une fleur , il serait Dieu ! Dieu seul peut me refaire ! Je bois la coupe amère des expiations : mais en la buvant j' ai terriblement épelé cette sentence : ' Expier n' est pas effacer .
' Dans mon pavillon , seule , je mange un pain trempé de mes pleurs ; mais personne ne me voit le mangeant , ne me voit pleurant .
Rentrer chez Octave ? c' est renoncer aux larmes , mes larmes l' offenseraient .
Oh ! monsieur , combien de vertus faut - il fouler aux pieds pour , non pas se donner , mais se rendre à un mari qu' on a trompé ? qui peut les compter ? Dieu seul , car lui seul est le confident et le promoteur de ces horribles délicatesses qui doivent faire pâlir ses anges .
Tenez , j' irai plus loin .
Une femme a du courage devant un mari qui ne sait rien ; elle déploie alors dans ses hypocrisies une force sauvage , elle trompe pour donner un double bonheur .
Mais une mutuelle certitude n' est - elle pas avilissante ? Moi , j' échangerais des humiliations contre des extases ? Octave ne finirait - il point par trouver de la dépravation dans mes consentements ? Le mariage est fondé sur l' estime , sur des sacrifices faits de part et d' autre ; mais ni Octave ni moi nous ne pouvons nous estimer le lendemain de notre réunion : il m' aura déshonorée par quelque amour de vieillard pour une courtisane ; et moi , j' aurai la honte perpétuelle d' être une chose au lieu d' être une Dame .
Je ne serai pas la vertu , je serai le plaisir dans sa maison .
Voilà les fruits amers d' une faute .
Je me suis fait un lit conjugal où je ne puis que me retourner sur des charbons , un lit sans sommeil . Ici , j' ai des heures de tranquillité , des heures pendant lesquelles j' oublie ; mais dans mon hôtel tout me rappellera la tache qui déshonore ma robe d' épousée .
Quand je souffre ici , je bénis mes souffrances , je dis à Dieu : Merci ! Mais chez lui , je serai pleine d' effroi , goûtant des joies qui ne me seront pas dues .

HONORINE (II, privé)
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