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Votre oncle me parlera même au besoin d' une certaine grâce céleste qui m' inondera le coeur alors que j' éprouverai le plaisir d' avoir fait mon devoir . Dieu , la Loi , le Monde , Octave veulent que je vive , n' est - ce pas ? Eh bien , s' il n' y a pas d' autre difficulté , ma réponse tranche tout : Je ne vivrai pas ! Je redeviendrai bien blanche , bien innocente , car je serai dans mon linceul , parée de la pâleur irréprochable de la mort .
Il n' y a pas là le moindre entêtement de mule . Cet entêtement de mule dont vous m' avez accusée en riant est , chez la femme , l' effet d' une certitude , une vision de l' avenir .
Si mon mari , par amour , a la sublime générosité de tout oublier , je n' oublierai point , moi ! L' oubli dépend - il de nous ? Quand une veuve se marie , l' amour en fait une jeune fille , elle épouse un homme aimé ; mais je ne puis pas aimer le comte .
Tout est là , voyez - vous ? Chaque fois que mes yeux rencontreront les siens , j' y verrai toujours ma faute , même quand les yeux de mon mari seront pleins d' amour .
La grandeur de sa générosité m' attestera la grandeur de mon crime . Mes regards , toujours inquiets , liront toujours une sentence invisible .
J' aurai dans le coeur des souvenirs confus qui se combattront . Jamais le mariage n' éveillera dans mon être les cruelles délices , le délire mortel de la passion ; je tuerai mon mari par ma froideur , par des comparaisons qui se devineront , quoique cachées au fond de ma conscience .
Oh ! le jour où , dans une ride du front , dans un regard attristé , dans un geste imperceptible , je saisirai quelque reproche involontaire , réprimé même , rien ne me retiendra : je giserai la tête fracassée sur un pavé que je trouverai plus clément que mon mari .
Ma susceptibilité fera peut - être les frais de cette horrible et douce mort .
Je mourrai peut - être victime d' une impatience causée à Octave par une affaire , ou trompée par un injuste soupçon . Hélas ! peut - être prendrai - je une preuve d' amour pour une preuve de mépris ? Quel double supplice ! Octave doutera toujours de moi , je douterai toujours de lui .
Je lui opposerai , bien involontairement , un rival indigne de lui , un homme que je méprise , mais qui m' a fait connaître des voluptés gravées en traits de feu , dont j' ai honte et dont je me souviens irrésistiblement .
Est - ce assez vous ouvrir mon coeur ? Personne , monsieur , ne peut me prouver que l' amour se recommence , car je ne puis et ne veux accepter l' amour de personne .

HONORINE (II, privé)
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