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La noble artiste économisait ainsi son temps . Un joli meuble d' ébène , incrusté d' ivoire , aux cent tiroirs vénitiens , contenait les matrices d' acier avec lesquelles elle frappait ses feuilles ou certains pétales . Un magnifique bol japonais contenait la colle qu' elle ne laissait jamais aigrir , et auquel elle avait fait adapter un couvercle à charnière , si léger , si mobile qu' elle le soulevait du bout du doigt .
Le fil d' archal , le laiton se cachaient dans un petit tiroir de sa table de travail devant elle .
Sous ses yeux , s' élevait , dans un verre de Venise , épanoui comme un calice sur sa tige , le modèle vivant de la fleur avec laquelle elle essayait de lutter . Elle se passionnait pour les chefs - d' oeuvre , elle abordait les ouvrages les plus difficiles , les grappes , les corolles les plus menues , les bruyères , les nectaires aux nuances les plus capricieuses .
Ses mains , aussi agiles que sa pensée , allaient de sa table à sa fleur , comme celles d' un artiste sur les touches d' un piano .
Ses doigts semblaient être fées , pour se servir d' une expression de Perrault , tant ils cachaient , sous la grâce du geste , les différentes forces de torsion , d' application , de pesanteur nécessaires à cette oeuvre , en mesurant avec la lucidité de l' instinct chaque mouvement au résultat .
Je ne me lassais pas de l' admirer montant une fleur dès que les éléments s' en trouvaient rassemblés devant elle , et cotonnant , perfectionnant une tige , y attachant les feuilles .
Elle déployait le génie des peintres dans ses audacieuses entreprises , elle copiait des feuilles flétries , des feuilles jaunes ; elle luttait avec les fleurs des champs , de toutes les plus naïves , les plus compliquées dans leur simplicité .
" Cet art , me disait - elle , est dans l' enfance .
Si les Parisiennes avaient un peu du génie que l' esclavage du harem exige chez les femmes de l' Orient , elles donneraient tout un langage aux fleurs posées sur leur tête .

HONORINE (II, privé)
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