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Son port rappelait tous ses quartiers de noblesse avec tant de fierté , que dans les rues les prolétaires les plus audacieux devaient se ranger pour elle . Gaie , tendre , fière et imposante , on ne la comprenait pas autrement que douée de ces qualités qui semblent s' exclure , et qui la laissaient néanmoins enfant .
Mais l' enfant pouvait devenir forte comme l' ange ; et comme l' ange , une fois blessée dans sa nature , elle devait être implacable . La froideur sur ce visage était sans doute la mort pour ceux à qui ses yeux avaient souri , pour qui ses lèvres s' étaient dénouées , pour ceux dont l' âme avait accueilli la mélodie de cette voix qui donnait à la parole la poésie du chant par des accentuations particulières .
En sentant le parfum de violette qu' elle exhalait , je compris comment le souvenir de cette femme avait cloué le comte au seuil de la Débauche et comme on ne pouvait jamais oublier celle qui vraiment était une fleur pour le toucher , une fleur pour le regard , une fleur pour l' odorat , une fleur céleste pour l' âme ... Honorine inspirait le dévouement , un dévouement chevaleresque et sans récompense .
on se disait en la voyant : " Pensez , je devinerai ; parlez , j' obéirai .
Si ma vie , perdue dans un supplice , peut vous procurer un jour de bonheur , prenez ma vie : je sourirai comme les martyrs sur leurs bûchers , car j' apporterai cette journée à Dieu comme un gage auquel obéit un père en reconnaissant une fête donnée à son enfant .
" Bien des femmes se composent une physionomie et arrivent à produire des effets semblables à ceux qui vous eussent saisi à l' aspect de la comtesse ; mais chez elle tout procédait d' un délicieux naturel , et ce naturel inimitable allait droit au coeur .
Si je vous en parle ainsi , c' est qu' il s' agit uniquement de son âme , de ses pensées , des délicatesses de son coeur , et que vous m' eussiez reproché de ne pas vous l' avoir crayonnée .
Je faillis oublier mon rôle d' homme quasi fou , brutal et peu chevaleresque .
" On m' a dit , madame , que vous aimiez les fleurs .
Je suis ouvrière fleuriste , monsieur , répondit - elle .
Après avoir cultivé les fleurs , je les copie , comme une mère qui serait assez artiste pour se donner le plaisir de peindre ses enfants ... N' est - ce pas assez vous dire que je suis pauvre et hors d' état de payer la concession que je veux obtenir de vous .

HONORINE (II, privé)
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