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" Madame , c' est le monsieur qui est votre voisin ! " cria la Gobain . La comtesse ne s' était pas effrayée . J' aperçus enfin cette femme que sa conduite et les confidences du comte avaient rendue si curieuse à observer . Nous étions dans les premiers jours du mois de mai . L' air pur , le temps bleu , la verdeur des premières feuilles , la senteur du printemps faisaient un cadre à cette création de la douleur .
En voyant Honorine , je conçus la passion d' Octave et la vérité de cette expression : une fleur céleste ! Sa blancheur me frappa tout d' abord par son blanc particulier , car il y a autant de blancs que de rouges et de bleus différents .
En regardant la comtesse , l' oeil servait à toucher cette peau suave où le sang courait en filets bleuâtres .
à la moindre émotion , ce sang se répandait sous le tissu comme une vapeur en nappes rosées . Quand nous nous rencontrâmes , les rayons du soleil en passant à travers le feuillage grêle des acacias environnaient Honorine de ce nimbe jaune et fluide que Raphaël et Titien , seuls parmi tous les peintres , ont su peindre autour de la Vierge .
Des yeux bruns exprimaient à la fois la tendresse et la gaieté , leur éclat se reflétait jusque sur le visage , à travers de longs cils abaissés .
Par le mouvement de ses paupières soyeuses , Honorine vous jetait un charme , tant il y avait de sentiment , de majesté de terreur , de mépris dans sa manière de relever ou d' abaisser ce voile de l' âme .
Enfin , elle pouvait vous glacer ou vous animer par un regard .
Ses cheveux cendrés , rattachés négligemment sur sa tête , lui dessinaient un front de poète , large , puissant , rêveur . La bouche était entièrement voluptueuse . Enfin , privilège rare en France , mais commun en Italie , toutes les lignes , les contours de cette tête avaient un caractère de noblesse qui devait arrêter les outrages du temps .
Quoique svelte , Honorine n' était pas maigre , et ses formes me semblèrent être de celles qui réveillent encore l' amour quand il se croit épuisé .
Elle méritait bien l' épithète de mignonne , car elle appartenait à ce genre de petites femmes souples qui se laissent prendre , flatter , quitter et reprendre comme des chattes .
Ses petits pieds que j' entendis sur le sable y faisaient un bruit léger qui leur était propre et qui s' harmoniait au bruissement de la robe ; il en résultait une musique féminine qui se gravait dans le coeur et devait se distinguer entre la démarche de mille femmes .

HONORINE (II, privé)
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