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' Madame Gobain , avait - elle dit , je ne veux pas être ici demain ! ... ' Fut - ce un coup de poignard que cette parole pour un homme qui trouve des joies illimitées dans la supercherie au moyen de laquelle il procure le plus beau velours de Lyon à douze francs l' aune , un faisan , un poisson , des fruits au dixième de leur valeur , à une femme assez ignorante pour croire payer suffisamment avec deux cent cinquante francs , Mme Gobain , la cuisinière d' un évêque ! ... Vous m' avez surpris me frottant les mains quelquefois et en proie à une sorte de bonheur .
Eh bien , je venais de faire réussir une ruse digne du théâtre . Je venais de tromper ma femme , de lui envoyer par une marchande à la toilette un châle des Indes proposé comme venant d' une actrice qui l' avait à peine porté , mais dans lequel , moi , ce grave magistrat que vous savez , je m' étais couché pendant une nuit .
Enfin , aujourd' hui , ma vie se résume par les deux mots avec lesquels on peut exprimer le plus violent des supplices : j' aime et j' attends ! J' ai dans Mme Gobain une fidèle espionne de ce coeur adoré .
Je vais toutes les nuits causer avec cette vieille , apprendre d' elle tout ce qu' Honorine a fait dans sa journée , les moindres mots qu' elle a dits , car une seule exclamation peut me livrer les secrets de cette âme qui s' est faite sourde et muette .
Honorine est pieuse ; elle suit les offices , elle prie ; mais elle n' est jamais allée à confesse et ne communie pas : elle prévoit ce qu' un prêtre lui dirait .
Elle ne veut pas entendre le conseil , l' ordre de revenir à moi . Cette horreur de moi m' épouvante et me confond , car je n' ai jamais fait le moindre mal à Honorine ; j' ai toujours été bon pour elle .
Admettons que j' aie eu quelques vivacités en l' instruisant , que mon ironie d' homme ait blessé son légitime orgueil de jeune fille ? ... Est - ce une raison de persévérer dans une résolution que la haine la plus implacable peut seule inspirer ? Honorine n' a jamais dit à Mme Gobain qui elle est , elle garde un silence absolu sur son mariage , en sorte que cette brave et digne femme ne peut pas dire un mot en ma faveur , car elle est la seule de la maison qui ait mon secret .
Les autres ne savent rien , ils sont sous la terreur que cause le nom du préfet de police et dans la vénération du pouvoir d' un ministre .
Il m' est donc impossible de pénétrer dans ce coeur : la citadelle est à moi , mais je n' y puis entrer .
Je n' ai pas un seul moyen d' action .
Une violence me perdrait à jamais ! Comment combattre des raisons qu' on ignore ? Écrire une lettre , la faire copier par un écrivain public , et la mettre sous les yeux d' Honorine ? ... j' y ai pensé .

HONORINE (II, privé)
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