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Peut - être se complaisait - il dans cette image de sa destinée ? ... il était fané comme ces fleurs près d' expirer , et dont les parfums presque décomposés lui causaient d' étranges ivresses . Le comte aimait son pays , il se dévouait aux intérêts publics avec la furie d' un coeur qui veut tromper une autre passion ; mais l' étude , le travail où il se plongeait ne lui suffisaient pas ; il se livrait en lui d' affreux combats dont quelques éclats m' atteignirent .
Enfin , il laissait entendre de navrantes aspirations vers le bonheur , et me paraissait devoir être heureux encore ; mais quel était l' obstacle ? Aimait - il une femme ? Ce fut une question que je me posai .
Jugez de l' étendue des cercles de douleur que ma pensée dut interroger avant d' en venir à une si simple et si redoutable question ! Malgré ses efforts , mon patron ne réussissait donc pas à étouffer le jeu de son coeur .
Sous sa pose austère , sous le silence du magistrat s' agitait une passion contenue avec tant de puissance , que personne excepté moi , son commensal , ne devina ce secret .
Sa devise semblait être : " Je souffre et je me tais .
" Le cortège de respect et d' admiration qui le suivait , l' amitié de travailleurs intrépides comme lui , des présidents Grandville et Sérizy n' avaient aucune prise sur le comte : ou il ne leur livrait rien , ou ils savaient tout .
Impassible , la tête haute en public , le comte ne laissait voir l' homme qu' en de rares instants , quand , seul dans son jardin , dans son cabinet , il ne se croyait pas observé ; mais alors il devenait enfant , il donnait carrière aux larmes dévorées sous sa toge , aux exaltations qui , peut - être mal interprétées , eussent nui à sa réputation de perspicacité comme homme d' État .
Quand toutes ces choses furent à l' état de certitude pour moi , le comte Octave eut tous les attraits d' un problème , et obtint autant d' affection que s' il eût été mon propre père .

HONORINE (II, privé)
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