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Les gens célèbres étaient pour moi comme des dieux qui ne parlaient pas , ne marchaient pas , ne mangeaient pas comme les autres hommes . Combien de contes des Mille et Une Nuits tient - il dans une adolescence ? ... Combien de Lampes merveilleuses faut - il avoir maniées avant de reconnaître que la vraie Lampe merveilleuse est ou le hasard , ou le travail , ou le génie ? Pour quelques hommes , ce rêve fait par l' esprit éveillé dure peu ; le mien dure encore ! Dans ce temps je m' endormais toujours grand - duc de Toscane millionnaire - aimé par une princesse - ou célèbre ! Ainsi , entrer chez le comte Octave , avoir cent louis à moi par an , ce fut entrer dans la vie indépendante .
J' entrevis quelques chances de pénétrer dans la société , d' y chercher ce que mon coeur désirait le plus , une protectrice qui me tirât de la voie dangereuse où s' engagent nécessairement à Paris les jeunes gens de vingt - deux ans , quelque sages et bien élevés qu' ils soient .
Je commençais à me craindre moi - même .
L' étude obstinée du droit des gens , dans laquelle je m' étais plongé , ne suffisait pas toujours à réprimer de cruelles fantaisies .
Oui , parfois je m' abandonnais en pensée à la vie du théâtre ; je croyais pouvoir être un grand acteur ; je rêvais des triomphes et des amours sans fin , ignorant les déceptions cachées derrière le rideau , comme partout ailleurs , car toute scène a ses coulisses .
Je suis quelquefois sorti le coeur bouillant , emmené par le désir de faire une battue dans Paris , de m' y attacher à une belle femme que je rencontrerais , de la suivre jusqu' à sa porte , de l' espionner , de lui écrire , de me confier à elle tout entier , et de la vaincre à force d' amour .
Mon pauvre oncle , ce coeur dévoré de charité , cet enfant de soixante - dix ans , intelligent comme Dieu , naïf comme un homme de génie , devinait sans doute les tumultes de mon âme , car jamais il ne faillit à me dire : " Va , Maurice , tu es un pauvre aussi ! voici vingt francs , amuse - toi , tu n' es pas prêtre ! " quand il sentait la corde par laquelle il me tenait trop tendue et près de se rompre .

HONORINE (II, privé)
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