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- Ah ! vous pouvez bien dire un taureau , s' écria la veuve Vauquer .
- Seriez - vous donc fâché de me voir en vie ? dit Vautrin à l' oreille de Rastignac dont il crut deviner les pensées . Ce serait d' un homme diantrement fort !
- Ah , ma foi ! dit Bianchon , Mlle Michonneau parlait avant - hier d' un monsieur surnommé Trompe - la - Mort ; ce nom - là vous irait bien . "
Ce mot produisit sur Vautrin l' effet de la foudre : il pâlit et chancela , son regard magnétique tomba comme un rayon de soleil sur Mlle Michonneau , à laquelle ce jet de volonté cassa les jarrets . La vieille fille se laissa couler sur une chaise .
Poiret s' avança vivement entre elle et Vautrin , comprenant qu' elle était en danger , tant la figure du forçat devint férocement significative en déposant le masque bénin sous lequel se cachait sa vraie nature .
Sans rien comprendre encore à ce drame , tous les pensionnaires restèrent ébahis . En ce moment , l' on entendit le pas de plusieurs hommes , et le bruit de quelques fusils que des soldats firent sonner sur le pavé de la rue .
Au moment où Collin cherchait machinalement une issue en regardant les fenêtres et les murs , quatre hommes se montrèrent à la porte du salon .
Le premier était le chef de la police de sûreté , les trois autres étaient des officiers de paix .
" Au nom de la Loi et du Roi " , dit un des officiers dont le discours fut couvert par un murmure d' étonnement .
Bientôt le silence régna dans la salle à manger , les pensionnaires se séparèrent pour livrer passage à trois de ces hommes , qui tous avaient la main dans leur poche de côté et y tenaient un pistolet armé .
Deux gendarmes qui suivaient les agents occupèrent la porte du salon , et deux autres se montrèrent à celle qui sortait par l' escalier . Le pas et les fusils de plusieurs soldats retentirent sur le pavé caillouteux qui longeait la façade .
Tout espoir de fuite fut donc interdit à Trompe - la - Mort , sur qui tous les regards s' arrêtèrent irrésistiblement . Le chef alla droit à lui , commença par lui donner sur la tête une tape si violemment appliquée qu' il fit sauter la perruque et rendit à la tête de Collin toute son horreur .

LE PERE GORIOT (III, privé)
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