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Mme de Nucingen est au supplice , elle se dépite . Il n' y a pas de meilleur moment pour aborder une femme , surtout une femme de banquier . Ces dames de la Chaussée d' Antin aiment toutes la vengeance .
- Que feriez - vous donc , vous , en pareil cas ?
- Moi , je souffrirais en silence . "
En ce moment le marquis d' Ajuda se présenta dans la loge de Mme de Beauséant .
" J' ai mal fait mes affaires afin de venir vous retrouver , dit - il , et je vous en instruis pour que ce ne soit pas un sacrifice . "
Les rayonnements du visage de la vicomtesse apprirent à Eugène à reconnaître les expressions d' un véritable amour , et à ne pas les confondre avec les simagrées de la coquetterie parisienne . Il admira sa cousine , devint muet et céda sa place à M .
d' Ajuda en soupirant . " Quelle noble , quelle sublime créature est une femme qui aime ainsi ! se dit - il . Et cet homme la trahirait pour une poupée ! comment peut - on la trahir ? " Il se sentit au coeur une rage d' enfant .
Il aurait voulu se rouler aux pieds de Mme de Beauséant , il souhaitait le pouvoir des démons afin de l' emporter dans son coeur , comme un aigle enlève de la plaine dans son aire une jeune chèvre blanche qui tette encore .
Il était humilié d' être dans ce grand Musée de la beauté sans son tableau , sans une maîtresse à lui . " Avoir une maîtresse est une position quasi royale , se disait - il , c' est le signe de la puissance ! " Et il regarda Mme de Nucingen comme un homme insulté regarde son adversaire .
La vicomtesse se retourna vers lui pour lui adresser sur sa discrétion mille remerciements dans un clignement d' yeux .
Le premier acte était fini .
" Vous connaissez assez Mme de Nucingen pour lui présenter M . de Rastignac ? dit - elle au marquis d' Ajuda .
- Mais elle sera charmée de voir monsieur " , dit le marquis .
Le beau Portugais se leva , prit le bras de l' étudiant , qui en un clin d' oeil se trouva auprès de Mme de Nucingen .

LE PERE GORIOT (III, privé)
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