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- Eh bien , monsieur de Rastignac , traitez ce monde comme il mérite de l' être . Vous voulez parvenir , je vous aiderai . Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine , vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes . Quoique j' aie bien lu dans ce livre du monde , il y avait des pages qui cependant m' étaient inconnues . Maintenant je sais tout . Plus froidement vous calculerez , plus avant vous irez . Frappez sans pitié , vous serez craint .
N' acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais , vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs . Voyez - vous , vous ne serez rien ici si vous n' avez pas une femme qui s' intéresse à vous .
Il vous la faut jeune , riche , élégante . Mais si vous avez un sentiment vrai , cachez - le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner , vous seriez perdu .
Vous ne seriez plus le bourreau , vous deviendriez la victime . Si jamais vous aimiez , gardez bien votre secret ! ne le livrez pas avant d' avoir bien su à qui vous ouvrirez votre coeur .
Pour préserver par avance cet amour qui n' existe pas encore , apprenez à vous méfier de ce monde - ci . Écoutez - moi , Miguel ... ( Elle se trompait naïvement de nom sans s' en apercevoir . ) Il existe quelque chose de plus épouvantable que ne l' est l' abandon du père par ses deux filles , qui le voudraient mort .
C' est la rivalité des deux soeurs entre elles . Restaud a de la naissance , sa femme a été adoptée , elle a été présentée ; mais sa soeur , sa riche soeur , la belle Mme Delphine de Nucingen , femme d' un homme d' argent , meurt de chagrin ; la jalousie la dévore , elle est à cent lieues de sa soeur ; sa soeur n' est plus sa soeur ; ces deux femmes se renient entre elles comme elles renient leur père .
Aussi , Mme de Nucingen laperait - elle toute la boue qu' il y a entre la rue Saint - Lazare et la rue de Grenelle pour entrer dans mon salon .
Elle a cru que de Marsay la ferait arriver à son but , et elle s' est faite l' esclave de de Marsay , elle assomme de Marsay .
De Marsay se soucie fort peu d' elle . Si vous me la présentez , vous serez son Benjamin , elle vous adorera .
Aimez - la si vous pouvez après , sinon servez - vous d' elle . Je la verrai une ou deux fois , en grande soirée , quand il y aura cohue ; mais je ne la recevrai jamais le matin .
Je la saluerai , cela suffira . Vous vous êtes fermé la porte de la comtesse pour avoir prononcé le nom du père Goriot . Oui , mon cher , vous iriez vingt fois chez Mme de Restaud , vingt fois vous la trouveriez absente .
Vous avez été consigné . Eh bien , que le père Goriot vous introduise près de Mme Delphine de Nucingen .
LE PERE GORIOT (III, privé)
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