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Sur la cheminée , dans une soupière d' argent étaient des avis d' arrivage de marchandises consignées en son nom au Havre , balles de coton , boucauts de sucre , tonneaux de rhum , cafés , indigos , tabacs , tout un bazar de denrées coloniales ! Cette pièce était encombrée de meubles , d' argenterie , de lampes , de tableaux , de vases , de livres , de belles gravures roulées , sans cadres , et de curiosités .
Peut - être cette immense quantité de valeurs ne provenait pas entièrement de cadeaux et constituait des gages qui lui étaient restés faute de paiement .
Je vis des écrins armoriés ou chiffrés , des services en beau linge , des armes précieuses , mais sans étiquettes . En ouvrant un livre qui me semblait avoir été déplacé , j' y trouvai des billets de mille francs .
Je me promis de bien visiter les moindres choses , de sonder les planchers , les plafonds , les corniches et les murs afin de trouver tout cet or dont était si passionnément avide ce Hollandais digne du pinceau de Rembrandt .
Je n' ai jamais vu , dans le cours de ma vie judiciaire , pareils effets d' avarice et d' originalité . Quand je revins dans sa chambre , je trouvai sur son bureau la raison du pêle - mêle progressif et de l' entassement de ces richesses .
Il y avait sous un serre - papier une correspondance entre Gobseck et les marchands auxquels il vendait sans doute habituellement ses présents .
Or , soit que ces gens eussent été victimes de l' habileté de Gobseck , soit que Gobseck voulût un trop grand prix de ses denrées ou de ses valeurs fabriquées , chaque marché se trouvait en suspens .
Il n' avait pas vendu les comestibles à Chevet , parce que Chevet ne voulait les reprendre qu' à trente pour cent de perte . Gobseck chicanait pour quelques francs de différence , et pendant la discussion les marchandises s' avariaient .
Pour son argenterie , il refusait de payer les frais de la livraison . Pour ses cafés , il ne voulait pas garantir les déchets .
Enfin chaque objet donnait lieu à des contestation qui dénotaient en Gobseck les premiers symptômes de cet enfantillage , de cet entêtement incompréhensible auxquels arrivent tous les vieillards chez lesquels une passion forte survit à l' intelligence .
Je me dis , comme il se l' était dit à lui - même : " à qui toutes ces richesses iront - elles ? ... " En pensant au bizarre renseignement qu' il m' avait fourni sur sa seule héritière , je me vois obligé de fouiller toutes les maisons suspectes de Paris pour y jeter à quelque mauvaise femme une immense fortune .

GOBSECK (II, privé)
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