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Quels effroyables tableaux ne présenteraient pas les âmes de ceux qui environnent les lits funèbres , si l' on pouvait en peindre les idées ? Et toujours la fortune est le mobile des intrigues qui s' élaborent , des plans qui se forment , des trames qui s' ourdissent ! Laissons maintenant de côté ces détails assez fastidieux de leur nature , mais qui ont pu vous permettre de deviner les douleurs de cette femme , celles de son mari , et qui vous dévoilent les secrets de quelques intérieurs semblables à celui - ci . Depuis deux mois le comte de Restaud , résigné à son sort , demeurait couché , seul , dans sa chambre . Une maladie mortelle avait lentement affaibli son corps et son esprit .
En proie à ces fantaisies de malade dont la bizarrerie semble inexplicable , il s' opposait à ce qu' on appropriât son appartement , il se refusait à toute espèce de soin , et même à ce qu' on fît son lit .
Cette extrême apathie s' était empreinte autour de lui : les meubles de sa chambre restaient en désordre . La poussière , les toiles d' araignées couvraient les objets les plus délicats . Jadis riche et recherché dans ses goûts , il se complaisait alors dans le triste spectacle que lui offrait cette pièce où la cheminée , le secrétaire et les chaises étaient encombrés des objets que nécessite une maladie : des fioles vides ou pleines , presque toutes sales ; du linge épars , des assiettes brisées , une bassinoire ouverte devant le feu , une baignoire encore pleine d' eau minérale .
Le sentiment de la destruction était exprimé dans chaque détail de ce chaos disgracieux .
La mort apparaissait dans les choses avant d' envahir la personne .
Le comte avait horreur du jour , les persiennes des fenêtres étaient fermées , et l' obscurité ajoutait encore à la sombre physionomie de ce triste lieu .
Le malade avait considérablement maigri . Ses yeux , où la vie semblait s' être réfugiée , étaient restés brillantes . La blancheur livide de son visage avait quelque chose d' horrible , que rehaussait encore la longueur extraordinaire de ses cheveux qu' il n' avait jamais voulu laisser couper , et qui descendaient en longues mèches plates le long de ses joues .
Il ressemblait aux fanatiques habitants du désert .
Le chagrin éteignait tous les sentiments humains en cet homme à peine âgé de cinquante ans , que tout Paris avait connu si brillant et si heureux .
Au commencement du mois de décembre de l' année 1824 , un matin , il regarda son fils Ernest qui était assis au pied de son lit , et qui le contemplait douloureusement . " Souffrez - vous ? avait demandé le jeune vicomte .
- Non ! dit - il avec un effrayant sourire , tout est ici et autour du coeur ! " Et après avoir montré sa tête , il pressa ses doigts décharnés sur sa poitrine creuse , par un geste qui fit pleurer Ernest .

GOBSECK (II, privé)
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