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Elle prit donc le parti d' établir autour de la chambre de son mari la plus exacte surveillance . Elle régna despotiquement dans sa maison , qui fut soumise à son espionnage de femme . Elle restait toute la journée assise dans le salon attenant à la chambre de son mari , et d' où elle pouvait entendre ses moindres paroles et ses plus légers mouvements .
La nuit , elle faisait tendre un lit dans cette pièce , et la plupart du temps elle ne dormait pas . Le médecin fut entièrement dans ses intérêts .
Ce dévouement parut admirable . Elle savait , avec cette finesse naturelle aux personnes perfides , déguiser la répugnance que M . de Restaud manifestait pour elle , et jouait si parfaitement la douleur , qu' elle obtint une sorte de célébrité .
Quelques prudes trouvèrent même qu' elle rachetait ainsi ses fautes . Mais elle avait toujours devant les yeux la misère qui l' attendait à la mort du comte , si elle manquait de présence d' esprit .
Ainsi cette femme , repoussée du lit de douleur où gémissait son mari , avait tracé un cercle magique à l' entour . Loin de lui et près de lui , disgraciée et toute - puissante , épouse dévouée en apparence , elle guettait la mort et la fortune , comme cet insecte des champs qui , au fond du précipice de sable qu' il a su arrondir en spirale , y attend son inévitable proie en écoutant chaque grain de poussière qui tombe .
Le censeur le plus sévère ne pouvait s' empêcher de reconnaître que la comtesse portait loin le sentiment de la maternité .
La mort de son père fut , dit - on , une leçon pour elle .
Idolâtre de ses enfants , elle leur avait dérobé le tableau de ses désordres , leur âge lui avait permis d' atteindre à son but et de s' en faire aimer , elle leur a donné la meilleure , et la plus brillante éducation .
J' avoue que je ne puis me défendre pour cette femme d' un sentiment admiratif et d' une compatissance sur laquelle Gobseck me plaisante encore . à cette époque , la comtesse , qui reconnaissait la bassesse de Maxime , expiait par des larmes de sang les fautes de sa vie passée .
Je le crois . Quelque odieuses que fussent les mesures qu' elle prenait pour reconquérir la fortune de son mari , ne lui étaient - elles pas dictées par son amour maternel et par le désir de réparer ses torts envers ses enfants ? Puis , comme plusieurs femmes qui ont subi les orages d' une passion , peut - être éprouvait - elle le besoin de redevenir vertueuse .
Peut - être ne connut - elle le prix de la vertu qu' au moment où elle recueillit la triste moisson semée par ses erreurs .

GOBSECK (II, privé)
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