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Le vieil escompteur était depuis longtemps au lit et souffrait de la maladie qui devait l' emporter . Il ajourna sa réponse au moment où il pourrait se lever et s' occuper d' affaires , il ne voulait sans doute se défaire de rien tant qu' il aurait un souffle de vie ; sa réponse dilatoire n' avait pas d' autres motifs .
En le trouvant beaucoup plus malade qu' il ne croyait l' être , je restai près de lui pendant assez de temps pour reconnaître les progrès d' une passion que l' âge avait convertie en une sorte de folie .
Afin de n' avoir personne dans la maison qu' il habitait , il s' en était fait le principal locataire et il en laissait toutes les chambres inoccupées .
Il n' y avait rien de changé dans celle où il demeurait . Les meubles , que je connaissais si bien depuis seize ans , semblaient avoir été conservés sous verre , tant ils étaient exactement les mêmes .
Sa vieille et fidèle portière , mariée à un invalide qui gardait la loge quand elle montait auprès du maître , était toujours sa ménagère , sa femme de confiance , l' introducteur de quiconque le venait voir , et remplissait auprès de lui les fonctions de garde - malade .
Malgré son état de faiblesse , Gobseck recevait encore lui - même ses pratiques , ses revenus , et avait si bien simplifié ses affaires qu' il lui suffisait de faire faire quelques commissions par son invalide pour les gérer au dehors .
Lors du traité par lequel la France reconnut la république d' Haïti , les connaissances que possédait Gobseck sur l' état des anciennes fortunes à Sainte - Domingue et sur les colons ou les ayant cause auxquels était dévolues les indemnités le firent nommer membre de la commission instituée pour liquider leurs droits et répartir les versements dus par Haïti .
Le génie de Gobseck lui fit inventer une agence pour escompter les créances des colons ou de leurs héritiers , sous les noms de Werbrust et Gigonnet avec lesquels il partageait les bénéfices sans avoir besoin d' avancer son argent , car ses lumières avaient constitué sa mise de fonds .
Cette agence était comme une distillerie où s' exprimaient les créances des ignorants , des incrédules , ou de ceux dont les droits pouvaient être contestés .
Comme liquidateur , Gobseck savait parlementer avec les gros propriétaires qui , soit pour faire évaluer leurs droits à un taux élevé , soit pour les faire promptement admettre , lui offraient des présents proportionnés à l' importance de leurs fortunes .

GOBSECK (II, privé)
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