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Quel spectacle s' offrit à nos regards ! Un affreux désordre régnait dans cette chambre . Échevelée par le désespoir , les yeux étincelants , la comtesse demeura debout , interdite , au milieu de hardes , de papiers , de chiffons bouleversées . Confusion horrible à voir en présence de ce mort . à peine le comte était - il expiré , que sa femme avait forcé tous les tiroirs et le secrétaire , autour d' elle le tapis était couvert de débris , quelques meubles et plusieurs protefeuilles avaient été brisés , tout portait l' empreinte de ses mains hardies .
Si d' abord ses recherches avaient été vaines , son attitude et son agitation me firent supposer qu' elle avait fini par découvrir les mystérieux papiers .
Je jetai un coup d' oeil sur le lit , et avec l' instinct que nous donne l' habitude des affaires , je devinai ce qui s' était passé .
Le cadavre du comte se trouvait dans la ruelle du lit , presque en travers , le nez tourné vers les matelas , dédaigneusement jeté comme une des enveloppes de papier qui étaient à terre ; car lui aussi n' était plus qu' une enveloppe .
Ses membres raidis et inflexibles lui donnaient quelque chose de grotesquement horrible .
Le mourant avait sans doute caché la contre - lettre sous son oreiller , comme pour la préserver de toute atteinte jusqu' à sa mort . La comtesse avait deviné la pensée de son mari , qui d' ailleurs semblait être écrite dans le dernier geste , dans la convulsion des doigts crochus .
L' oreiller avait été jeté en bas du lit , le pied de la comtesse y était encore imprimé ; à ses pieds , devant elle , je vis un papier cacheté en plusieurs endroits aux armes du comte , je le ramassai vivement et j' y lus une suscription indiquant que le contenu devait m' être remis .
Je regardai fixement la comtesse avec la perspicace sévérité d' un juge qui interroge un coupable .
La flamme du foyer dévorait les papiers . En nous entendant venir , la comtesse les y avait lancés en croyant , à la lecture des premières dispositions que j' avais provoquées en faveur de ses enfants , anéantit un testament qui les privait de leur fortune .
Une conscience bourrelée et l' effroi involontaire inspiré par un crime à ceux qui le commettent lui avaient ôté l' usage de la réflexion .
En se voyant surprise , elle voyait peut - être l' échafaud et sentait le fer rouge du bourreau . Cette femme attendait nos premiers mots en haletant , et nous regardait avec des yeux hagards .

GOBSECK (II, privé)
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