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Pendant cette matinée , Mme Jules , après avoir été exposée dans une chapelle ardente , à la porte de son hôtel , fut amenée à Saint - Roch . L' église était entièrement tendue de noir . L' espèce de luxe déployé pour ce service avait attiré du monde ; car , à Paris , tout fait spectacle , même la douleur la plus vraie . Il y a des gens qui se mettent aux fenêtres pour voir comment pleure un fils en suivant le corps de sa mère , comme il y en a qui veulent être commodément placés pour voir comment tombe une tête .
Aucun peuple du monde n' a eu des yeux plus voraces . Mais les curieux furent particulièrement surpris en apercevant les six chapelles latérales de Saint - Roch également tendues de noir .
Deux hommes en deuil assistaient à une messe mortuaire dans chacune de ces chapelles . On ne vit au choeur , pour toute assistance , que M .
Desmarets le notaire , et Jacquet ; puis , en dehors de l' enceinte , les domestiques . Il y avait , pour les flâneurs ecclésiastiques , quelque chose d' inexplicable dans une telle pompe et si peu de parenté .
Jules n' avait voulu d' aucun indifférent à cette cérémonie . La grand - messe fut célébrée avec la sombre magnificence des messes funèbres . Outre les desservants ordinaires de Saint - Roch , il s' y trouvait treize prêtres venus de diverses paroisses .
Aussi jamais peut - être le Dies irae ne produisit - il sur des chrétiens de hasard , fortuitement rassemblés par la curiosité , mais avides d' émotions , un effet plus profond , plus nerveusement glacial que le fut l' impression produite par cette hymne , au moment où huit voix de chantres accompagnées par celles des prêtres et les voix des enfants de choeur l' entonnèrent alternativement .
Des six chapelles latérales , douze autres voix d' enfants s' élevèrent aigres de douleur , et s' y mêlèrent lamentablement .
De toutes les parties de l' église , l' effroi sourdait ; partout , les cris d' angoisse répondaient aux cris de terreur .
Cette effrayante musique accusait des douleurs inconnues au monde , et des amitiés secrètes qui pleuraient la morte . Jamais , en aucune religion humaine , les frayeurs de l' âme , violemment arrachée du corps et tempêtueusement agitée en présence de la foudroyante majesté de Dieu , n' ont été rendues avec autant de vigueur .
Devant cette clameur des clameurs , doivent s' humilier les artistes et leurs compositions les plus passionnées .
Non , rien ne peut lutter avec ce chant qui résume les passions humaines et leur donne une vie galvanique au - delà du cercueil , en les amenant palpitantes encore devant le Dieu vivant et vengeur .

FERRAGUS (V, paris)
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