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Afin de me donner un état , ils ont acheté un mort , une réputation , une fortune , tout cela pour faire revivre un vivant , tout cela pour toi , pour nous . Nous ne devions rien en savoir . Eh bien , ma mort épargnera sans doute ce mensonge à mon père , il mourra de ma mort . Adieu donc , Jules , mon coeur est ici tout entier . T' exprimer mon amour dans l' innocence de sa terreur , n' est - ce pas te laisser toute mon âme ? Je n' aurais pas eu la force de te parler , j' ai eu celle de t' écrire .
Je viens de confesser à Dieu les fautes de ma vie ; j' ai bien promis de ne plus m' occuper que du roi des cieux ; mais je n' ai pu résister au plaisir de me confesser aussi à celui qui , pour moi , est tout sur la terre .
Hélas ! qui ne me le pardonnerait , ce dernier soupir , entre la vie qui fut et la vie qui va être ? Adieu donc , mon Jules aimé ; je vais à Dieu , près de qui l' amour est toujours sans nuages , près de qui tu viendras un jour .
Là , sous son trône , réunis à jamais , nous pourrons nous aimer pendant les siècles .
Cet espoir peut seul me consoler . Si je suis digne d' être là par avance , de là , je te suivrai dans ta vie , mon âme t' accompagnera , t' enveloppera , car tu resteras encore ici - bas , toi .
Mène donc une vie sainte pour venir sûrement près de moi . Tu peux faire tant de bien sur cette terre ! N' est - ce pas une mission angélique pour un être souffrant que de répandre la joie autour de lui , de donner ce qu' il n' a pas ? Je te laisse aux malheureux .
Il n' y a que leurs sourires et leurs larmes dont je ne serai point jalouse . Nous trouverons un grand charme à ces douces bienfaisances .
Ne pourrons - nous pas vivre encore ensemble si tu veux mêler mon nom , ta Clémence , à ces belles oeuvres ? Après avoir aimé comme nous aimions , il n' y a plus que Dieu , Jules . Dieu ne ment pas , Dieu ne trompe pas .
N' adore plus que lui , je le veux . Cultive - le bien dans tous ceux qui souffrent , soulage les membres endoloris de son église . Adieu , chère âme que j' ai remplie , je te connais : tu n' aimeras pas deux fois .
Je vais donc expirer heureuse par la pensée qui rend toutes les femmes heureuses . Oui , ma tombe sera ton coeur . Après cette enfance que je t' ai contée , ma vie ne s' est - elle pas écoulée dans ton coeur ? Morte , tu ne m' en chasseras jamais .
Je suis fière de cette vie unique ! Tu ne m' auras connue que dans la fleur de la jeunesse , je te laisse des regrets sans désenchantement .
Jules , c' est une mort bien heureuse .

FERRAGUS (V, paris)
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