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Elle voulait lui donner dans un baiser son dernier souffle de vie , il le prit , et elle mourut . Jules tomba demi - mort et fut emporté chez son frère . Là , comme il déplorait , au milieu de ses larmes et de son délire , l' absence qu' il avait faite la veille , son frère lui apprit que cette séparation était vivement désirée par Clémence , qui n' avait pas voulu le rendre témoin de l' appareil religieux , si terrible aux imaginations tendres , et que l' Église déploie en conférant aux moribonds les derniers sacrements .
" Tu n' y aurais pas résisté , lui dit son frère . Je n' ai pu moi - même soutenir ce spectacle et tous tes gens fondaient en larmes . Clémence était comme une sainte . Elle avait pris de la force pour nous faire ses adieux , et cette voix , entendue pour la dernière fois , déchirait le coeur .
Quand elle a demandé pardon des chagrins involontaires qu' elle pouvait avoir donnés à ceux qui l' avaient servie , il y a eu un cri mêlé de sanglots , un cri ...
- Assez , dit Jules , assez . "
Il voulut être seul pour lire les dernières pensées de cette femme que le monde avait admirée , et qui avait passé comme une fleur .
" Mon bien aimé , ceci est mon testament . Pourquoi ne ferait - on pas des testaments pour les trésors du coeur , comme pour les autres biens ? Mon amour , n' était - ce pas tout mon bien ? je veux ici ne m' occuper que de mon amour : il fut toute la fortune de ta Clémence , et tout ce qu' elle peut te laisser en mourant .
Jules , je suis encore aimée , je meurs heureuse . Les médecins expliquent ma mort à leur manière , moi seule en connais la véritable cause .
Je te la dirai , quelque peine qu' elle puisse te faire . Je ne voudrais pas emporter dans un coeur tout à toi quelque secret qui ne te fût pas dit , alors que je meurs victime d' une discrétion nécessaire .
" Jules , j' ai été nourrie , élevée dans la plus profonde solitude , loin des vices et des mensonges du monde , par l' aimable femme que tu as connue . La société rendait justice à ses qualités de convention , par lesquelles une femme plaît à la société ; mais moi , j' ai secrètement joui d' une âme céleste , et j' ai pu chérir la mère qui faisait de mon enfance une joie sans amertume , en sachant bien pourquoi je la chérissais .
N' était - ce pas aimer doublement ? Oui , je l' aimais , je la craignais , je la respectais , et rien ne me pesait au coeur , ni le respect , ni la crainte .
J' étais tout pour elle , elle était tout pour moi .
Pendant dix - neuf années , pleinement heureuses , insouciantes , mon âme , solitaire au milieu du monde qui grondait autour de moi , n' a réfléchi que la plus pure image , celle de ma mère , et mon coeur n' a battu que par elle ou pour elle .

FERRAGUS (V, paris)
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