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Le calme de la nuit , puis la singulière activité de sens que donne la passion , permirent alors à Clémence d' entendre le cri d' une plume et les mouvements involontaires d' un homme occupé à écrire . Ceux qui passent habituellement les nuits , et qui ont observé les différents effets de l' acoustique par un profond silence , savent que souvent un léger retentissement est facile à percevoir dans les mêmes lieux où des murmures égaux et continus n' avaient rien de distinctible .
à quatre heures le bruit cessa . Clémence se leva inquiète et tremblante .
Puis , pieds nus , sans peignoir , ne pensant ni à sa moiteur , ni à l' état dans lequel elle se trouvait , la pauvre femme ouvrit heureusement la porte de communication sans la faire crier .
Elle vit son mari , une plume à la main , tout endormi dans son fauteuil . Les bougies brûlaient dans les bobèches . Elle s' avança lentement , et lut sur une enveloppe déjà cachetée : CECI EST MON TESTAMENT .
Elle s' agenouilla comme devant une tombe et baisa la main de son mari qui s' éveilla soudain .
" Jules , mon ami , l' on accorde quelques jours aux criminels condamnés à mort , dit - elle en le regardant avec des yeux allumés par la fièvre et par l' amour . Ta femme innocente ne t' en demande que deux . Laisse - moi libre pendant deux jours , et ... attends ! Après , je mourrai heureuse , du moins tu me regretteras .
- Clémence , je te les accorde . "
Et , comme elle baisait les mains de son mari dans une touchante effusion de coeur , Jules , fasciné par ce cri de l' innocence , la prit et la baisa au front , tout honteux de subir encore le pouvoir de cette noble beauté .
Le lendemain , après avoir pris quelques heures de repos , Jules entra dans la chambre de sa femme , obéissant machinalement à sa coutume de ne point sortir sans l' avoir vue . Clémence dormait . Un rayon de lumière passant par les fentes les plus élevées des fenêtres tombait sur le visage de cette femme accablée .
Déjà les douleurs avaient altéré son front et la fraîche rougeur de ses lèvres . L' oeil d' un amant ne pouvait pas se tromper à l' aspect de quelques marbrures foncées et de la pâleur maladive qui remplaçait et le ton égal des joues et la blancheur mate du teint , deux fonds purs sur lesquels se jouaient si naïvement les sentiments de cette belle âme .
" Elle souffre , se dit Jules . Pauvre Clémence , que Dieu nous protège ! "

FERRAGUS (V, paris)
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