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Puis , comme nous désirons d' autant plus violemment les choses qu' il nous est plus difficile de les avoir , il continua d' adorer les femmes avec cette ingénieuse tendresse et ces félines délicatesses dont le secret leur appartient et dont peut - être veulent - elles garder le monopole . En effet , quoique les femmes se plaignent d' être mal aimées par les hommes , elles ont néanmoins peu de goût pour ceux dont l' âme est à demi féminine .
Toute leur supériorité consiste à faire croire aux hommes qu' ils leur sont inférieurs en amour ; aussi quittent - elles assez volontiers un amant , quand il est assez inexpérimenté pour leur ravir les craintes dont elles veulent se parer , ces délicieux tourments de la jalousie à faux , ces troubles de l' espoir trompé , ces vaines attentes , enfin tout le cortège de leurs bonnes misères de femme ; elles ont en horreur les Grandisson .
Qu' y a - t - il de plus contraire à leur nature qu' un amour tranquille et parfait ? Elles veulent des émotions , et le bonheur sans orages n' est plus le bonheur pour elles .
Les âmes féminines assez puissantes pour mettre l' infini dans l' amour constituent d' angéliques exceptions , et sont parmi les femmes ce que sont les beaux génies parmi les hommes .
Les grandes passions sont rares comme les chefs - d' oeuvre .
Hors cet amour , il n' y a que des arrangements , des irritations passagères , méprisables , comme tout ce qui est petit .
Au milieu des secrets désastres de son coeur , pendant qu' il cherchait une femme par laquelle il pût être compris , recherche qui , pour le dire en passant , est la grande folie amoureuse de notre époque , Auguste rencontra dans le monde le plus éloigné du sien , dans la seconde sphère du monde d' argent où la haute banque tient le premier rang , une créature parfaite , une de ces femmes qui ont je ne sais quoi de saint et de sacré , qui inspirent tant de respect , que l' amour a besoin de tous les secours d' une longue familiarité pour se déclarer .
Auguste se livra donc tout entier aux délices de la plus touchante et de la plus profonde des passions , à un amour purement admiratif .
Ce fut d' innombrables désirs réprimés , nuances de passion si vagues et si profondes , si fugitives et si frappantes , qu' on ne sait à quoi les comparer ; elles ressemblent à des parfums , à des nuages , à des rayons de soleil , à des ombres , à tout ce qui , dans la nature , peut en un moment briller et disparaître , se raviver et mourir , en laissant au coeur de longues émotions .

FERRAGUS (V, paris)
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