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- Enfin , mon cher , que me fait celle que je n' ai point vue ! reprit de Marsay . Depuis que j' étudie les femmes , mon inconnue est la seule dont le sein vierge , les formes ardentes et voluptueuses m' aient réalisé la seule femme que j' aie rêvée , moi ! Elle est l' original de la délirante peinture appelée la femme caressant sa chimère , la plus chaude , la plus infernale inspiration du génie antique ; une sainte poésie prostituée par ceux qui l' ont copiée pour les fresques et les mosaïques ; pour un tas de bourgeois qui ne voient dans ce camée qu' une breloque , et la mettent à leurs clefs de montre , tandis que c' est toute la femme , un abîme de plaisirs où l' on roule sans en trouver la fin , tandis que c' est une femme idéale qui se voit quelquefois en réalité dans l' Espagne , dans l' Italie , presque jamais en France .
Hé bien , j' ai revu cette fille aux yeux d' or , cette femme caressant sa chimère , je l' ai revue ici , vendredi .
Je pressentais que le lendemain elle reviendrait à la même heure .
Je ne me trompais point .
Je me suis plu à la suivre sans qu' elle me vît , à étudier cette démarche indolente de la femme inoccupée , mais dans les mouvements de laquelle se devine la volupté qui dort .
Eh bien , elle s' est retournée , elle m' a vu , m' a de nouveau adoré , a de nouveau tressailli , frissonné . Alors j' ai remarqué la véritable duègne espagnole qui la garde , une hyène à laquelle un jaloux a mis une robe , quelque diablesse bien payée pour garder cette suave créature ... Oh ! alors , la duègne m' a rendu plus qu' amoureux , je suis devenu curieux .
Samedi , personne .
Me voilà , aujourd' hui , attendant cette fille dont je suis la chimère , et ne demandant pas mieux que de me poser comme le monstre de la fresque .
- La voilà , dit Paul , tout le monde se retourne pour la voir ... "
L' inconnue rougit , ses yeux scintillèrent en apercevant Henri , elle les ferma , et passa .
" Tu dis qu' elle te remarque ? " s' écria plaisamment Paul de Manerville .
La duègne regarda fixement et avec attention les deux jeunes gens . Quand l' inconnue et Henri se rencontrèrent de nouveau , la jeune fille le frôla , et de sa main serra la main du jeune homme . Puis , elle se retourna , sourit avec passion ; mais la duègne l' entraînait fort vite , vers la grille de la rue Castiglione .

FILLE AUX YEUX D OR (V, paris)
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