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Quoique Alfred de Vandenesse fît horreur à cette malheureuse mère , elle était obligée d' ensevelir dans le pli le plus profond de son coeur les raisons suprêmes de son aversion . Elle était intimement liée avec le marquis de Vandenesse , père d' Alfred , et cette amitié , respectable aux yeux du monde , autorisait le jeune homme à venir familièrement chez Mme de Saint - Héreen , pour laquelle il feignait une passion conçue dès l' enfance .
D' ailleurs , en vain Mme d' Aiglemont se serait - elle décidée à jeter entre sa fille et Alfred de Vandenesse une terrible parole qui les eût séparés ; elle était certaine de n' y pas réussir , malgré la puissance de cette parole , qui l' eût déshonorée aux yeux de sa fille .
Alfred avait trop de corruption , Moïna trop d' esprit pour croire à cette révélation , et la jeune vicomtesse l' eût éludée en la traitant de ruse maternelle .
Mme d' Aiglemont avait bâti son cachot de ses propres mains et s' y était murée elle - même pour y mourir en voyant se perdre la belle vie de Moïna , cette vie devenue sa gloire , son bonheur et sa consolation , une existence pour elle mille fois plus chère que la sienne .
Horribles souffrances , incroyables , sans langage ! abîmes sans fond !
Elle attendait impatiemment le lever de sa fille , et néanmoins elle le redoutait , semblable au malheureux condamné à mort qui voudrait en avoir fini avec la vie , et qui cependant a froid en pensant au bourreau .
La marquise avait résolu de tenter un dernier effort ; mais elle craignait peut - être moins d' échouer dans sa tentative que de recevoir encore une de ces blessures si douloureuses à son coeur qu' elles avaient épuisé tout son courage .
Son amour de mère en était arrivé là : aimer sa fille , la redouter , appréhender un coup de poignard et aller au - devant . Le sentiment maternel est si large dans les coeurs aimants qu' avant d' arriver à l' indifférence une mère doit mourir ou s' appuyer sur quelque grande puissance , la religion ou l' amour .
Depuis son lever , la fatale mémoire de la marquise lui avait retracé plusieurs de ces faits , petits en apparence , mais qui dans la vie morale sont de grands événements .
En effet , parfois un geste développe tout un drame , l' accent d' une parole déchire toute une vie , l' indifférence d' un regard tue la plus heureuse passion .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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