----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

La coupe de sa figure , la régularité de ses traits donnaient une idée , faible à la vérité , de la beauté dont elle avait dû être orgueilleuse ; mais ces indices accusaient encore mieux les douleurs , qui avaient été assez aiguës pour creuser ce visage , pour en dessécher les tempes , en rentrer les joues , en meurtrir les paupières et les dégarnir de cils , cette grâce du regard .
Tout était silencieux en cette femme : sa démarche et ses mouvements avaient cette lenteur grave et recueillie qui imprime le respect .
Sa modestie , changée en timidité , semblait être le résultat de l' habitude , qu' elle avait prise depuis quelques années , de s' effacer devant sa fille ; puis sa parole était rare , douce , comme celle de toutes les personnes forcées de réfléchir , de se concentrer , de vivre en elles - mêmes .
Cette attitude et cette contenance inspiraient un sentiment indéfinissable , qui n' était ni la crainte ni la compassion , mais dans lequel se fondaient mystérieusement toutes les idées que réveillent ces diverses affections .
Enfin la nature de ses rides , la manière dont son visage était plissé , la pâleur de son regard endolori , tout témoignait éloquemment de ces larmes qui , dévorées par le coeur , ne tombent jamais à terre .
Les malheureux accoutumés à contempler le ciel pour en appeler à lui des maux de leur vie eussent facilement reconnu dans les yeux de cette mère les cruelles habitudes d' une prière faite à chaque instant du jour , et les légers vestiges de ces meurtrissures secrètes qui finissent par détruire les fleurs de l' âme et jusqu' au sentiment de la maternité .
Les peintres ont des couleurs pour ces portraits , mais les idées et les paroles sont impuissantes pour les traduire fidèlement ; il s' y rencontre , dans les tons du teint , dans l' air de la figure , des phénomènes inexplicables que l' âme saisit par la vue , mais le récit des événements auxquels sont dus de si terribles bouleversements de physionomie est la seule ressource qui reste au poète pour les faire comprendre .
Cette figure annonçait un orage calme et froid , un secret combat entre l' héroïsme de la douleur maternelle et l' infirmité de nos sentiments , qui sont finis comme nous - mêmes et où rien ne se trouve d' infini .
Ces souffrances sans cesse refoulées avaient produit à la longue je ne sais quoi de morbide en cette femme .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
Page:1207