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Enfin , peut - être ne doit - on jamais prononcer qui a tort ou raison de l' enfant ou de la mère . Entre ces deux coeurs , il n' y a qu' un seul juge possible . Ce juge est Dieu ! Dieu qui , souvent , assied sa vengeance au sein des familles , et se sert éternellement des enfants contre les mères , des pères contre les fils , des peuples contre les rois , des princes contre les nations , de tout contre tout ; remplaçant dans le monde moral les sentiments par les sentiments comme les jeunes feuilles poussent les vieilles au printemps ; agissant en vue d' un ordre immuable , d' un but à lui seul connu . Sans doute chaque chose va dans son sein , ou , mieux encore , elle y retourne .
Ces religieuses pensées , si naturelles au coeur des vieillards , flottaient éparses dans l' âme de Mme d' Aiglemont ; elles y étaient à demi lumineuses , tantôt abîmées , tantôt déployées complètement , comme des fleurs tourmentées à la surface des eaux pendant une tempête .
Elle s' était assise , lassée , affaiblie par une longue méditation , par une de ces rêveries au milieu desquelles toute la vie se dresse , se déroule aux yeux de ceux qui pressentent la mort .
Cette femme , vieille avant le temps , eût été , pour quelque poète passant sur le boulevard , un tableau curieux . à la voir assise à l' ombre grêle d' un acacia , l' ombre d' un acacia à midi , tout le monde eût su lire une des mille choses écrites sur ce visage pâle et froid , même au milieu des chauds rayons du soleil .
Sa figure pleine d' expression représentait quelque chose de plus grave encore que ne l' est une vie à son déclin , ou de plus profond qu' une âme affaissée par l' expérience .
Elle était un de ces types qui , entre mille physionomies dédaignées parce qu' elles sont sans caractère , vous arrêtent un moment , vous font penser , comme , entre les mille tableaux d' un Musée , vous êtes fortement impressionné , soit par la tête sublime où Murillo peignit la douleur maternelle , soit par le visage de Béatrix Cenci où le Guide sut peindre la plus touchante innocence au fond du plus épouvantable crime , soit par la sombre face de Philippe II où Velasquez a pour toujours imprimé la majestueuse terreur que doit inspirer la royauté .
Certaines figures humaines sont de despotiques images qui vous parlent , vous interrogent , qui répondent à vos pensées secrètes , et sont même des poèmes entiers .
Le visage glacé de Mme d' Aiglemont était une de ces poésies terribles , une de ces faces répandues par milliers dans La Divine Comédie de Dante Alighieri .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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