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Charles demeura plus longtemps en contemplation qu' il ne le voulait , et fut mécontent d' être si fortement préoccupé par une femme ; mais aussi la présence de cette femme réfutait les pensées qu' un instant auparavant le jeune diplomate avait conçues à l' aspect du bal .
La marquise , alors âgée de trente ans , était belle , quoique frêle de formes et d' une excessive délicatesse . Son plus grand charme venait d' une physionomie dont le calme trahissait une étonnante profondeur dans l' âme .
Son oeil plein d' éclat , mais qui semblait voilé par une pensée constante , accusait une vie fiévreuse et la résignation la plus étendue . Ses paupières , presque toujours chastement baissées vers la terre , se relevaient rarement .
Si elle jetait des regards autour d' elle , c' était par un mouvement triste , et vous eussiez dit qu' elle réservait le feu de ses yeux pour d' occultes contemplations .
Aussi tout homme supérieur se sentait - il curieusement attiré vers cette femme douce et silencieuse . Si l' esprit cherchait à deviner les mystères de la perpétuelle réaction qui se faisait en elle du présent vers le passé , du monde à sa solitude , l' âme n' était pas moins intéressée à s' initier aux secrets d' un coeur en quelque sorte orgueilleux de ses souffrances .
En elle , rien d' ailleurs ne démentait les idées qu' elle inspirait tout d' abord .
Comme presque toutes les femmes qui ont de très longs cheveux , elle était pâle et parfaitement blanche . Sa peau , d' une finesse prodigieuse , symptôme rarement trompeur , annonçait une vraie sensibilité , justifiée par la nature de ses traits qui avaient ce fini merveilleux que les peintres chinois répandent sur leurs figures fantastiques .
Son cou était un peu long peut - être , mais ces sortes de cous sont les plus gracieux , et donnent aux têtes de femmes de vagues affinités avec les magnétiques ondulations du serpent .
S' il n' existait pas un seul des mille indices par lesquels les caractères les plus dissimulés se révèlent à l' observateur , il lui suffirait d' examiner attentivement les gestes de la tête et les torsions du cou , si variées , si expressives , pour juger une femme .
Chez Mme d' Aiglemont , la mise était en harmonie avec la pensée qui dominait sa personne .
Les nattes de sa chevelure largement tressée formaient au - dessus de sa tête une haute couronne à laquelle ne se mêlait aucun ornement , car elle semblait avoir dit adieu pour toujours aux recherches de la toilette .
Aussi ne surprenait - on jamais en elle ces petits calculs de coquetterie qui gâtent beaucoup de femmes .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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